Intermède

125 bougies. Pour la 125ème fois, il va respecter la vieille tradition: souffler les bougies sur son gâteau d’anniversaire. Ses poumons affaiblis seront suffisants pour éteindre la multitude de flammèches virtuelles. Cela ne lui aurait pas été possible, avec de vraies bougies en cire, comme cela se pratiquait encore lorsqu’il était enfant.

Il se souvient d’un autre anniversaire. Sur le gâteau, il devait y avoir huit ou neuf bougies, il ne sait plus bien. L’image qui refait surface est celle d’un nouvel appartement, jonché de cartons encore pleins des trésors accumulés par ses parents. On avait dressé une table de fortune sur laquelle trônaient le gâteau et ses bougies. Son premier anniversaire dans Rama.

Comme des millions de Terriens, ses parents avaient fui les cités surpeuplées de la grande planète, pour se construire un autre destin sur l’un des mondes nouveaux. Ils avaient choisi Rama, car ils rêvaient d’horizons vraiment lointains. Toute son enfance avait baigné dans des projets de voyage parmi les étoiles.

Les années ont passé. Rama demeurait désespérément à quai. Son père, puis quelques années plus tard, sa mère s’en sont allé sans jamais voir leur rêve se réaliser. Ils lui disaient: «Toi mon fils, tu auras peut-être la change de prendre part au grand voyage. Hélas, tout cela n’est plus pour nous.»

Toute son existence, il l’a consacrée à tenter de réaliser le rêve de ses parents. En vain. Trop nombreux étaient les immigrants qui avaient choisi Rama, comme ça, parmi d’autres colonies possible, sans intention de plonger dans l’espace profond. Au crépuscule de sa vie, il avait fini par se résigner. D’ailleurs, il ne comprenait plus grand-chose à ce qu’était devenue la société humaine.

Et voilà qu’à cause d’un sordide mélange de bêtise, de racisme et d’intolérance, l’Histoire bascule. Son rêve, celui de ses parents, va se réaliser. Sa 126ème bougie, c’est dans la banlieue d’un autre soleil qu’il la soufflera. Il est heureux, plus heureux qu’il ne l’a jamais été, même s’il sait que, ce bonheur, il le doit au malheur qui a frappé d’autres humains.

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