17 – Héliocentrisme

Ce matin, Nielle reste avec moi. Elle va m’apprendre à utiliser les consoles holographiques.

– Tu vas voir, c’est très simple. Tu vas t’y faire très vite.

– C’est ce que tout le monde me dit depuis quinze jours. Et pourtant, tout ici me paraît encore parfaitement étranger.

– Même moi?

– Mais non, pas toi, bien sûr!

Elle me fait m’asseoir devant le bureau. Sur le plateau, il n’y a qu’un de ces disques dorés d’une vingtaine de centimètres de diamètre. Je l’observe avec perplexité.

– Heu, on fait comment pour le mettre en marche? Il y a un interrupteur quelque part?

– Il suffit de l’effleurer comme ça.

Effectivement, dès qu’elle touche le disque du doigt, une petite sphère lumineuse floue apparaît au-dessus du disque.

– Wow, je peux essayer?

D’une simple chiquenaude, elle éteint l’appareil.

– Bien sûr. Essaie!

Maladroitement, je tente de reproduire son geste. En vain.

– Ben, ça marche pas.

– Tu y vas trop lentement. Il faut que tu aies l’air plus décidé. Tu dois lui montrer que tu veux qu’elle s’allume.

– Attends! C’est rien qu’une machine. Comment pourrait-elle savoir ce que je veux?

– Aurais-tu déjà oublié qu’aujourd’hui, les machines aussi ont une âme? Non, je plaisante. Mais elles sont équipées des mêmes systèmes de perception des émotions humaines que les robots.

– Ha, alors il suffirait que je dise: elle va se mettre en route cette putain de machine?

Instantanément, la sphère lumineuse apparaît. Je reste bouche bée.

– Tu vois, il suffit de lui exprimer ton désir. Mais tu pourrais toutefois lui témoigner un minimum de respect. Cela pourrait t’être utile par la suite.

– Je vais essayer. Mais toi, tu l’as allumé d’un geste.

– D’un geste, d’une parole ou d’un simple regard. Il suffit d’être explicite sur ses intentions. C’est un apprentissage mutuel. Au fur et à mesure que tu t’habitueras à elle, elle s’habituera à toi.

– Mais, cet apprentissage, il faut le recommencer pour chaque console?

– Absolument pas. Dès qu’un individu s’est connecté une fois au Réseau, celui-ci le reconnaît quel que soit l’endroit depuis lequel il se connecte.

– En gros, mon profil utilisateur me suit partout, c’est ça?

– Si tu veux.

– Et pour l’éteindre, c’est la même chose? Il suffit de lui demander de s’éteindre?

– Bien sûr. Comment le Réseau pourrait-il deviner?

J’ai envie d’essayer de l’éteindre d’un geste. Mais j’ai peur de toucher cette lumière. D’ailleurs, je n’ai pas la moindre idée de sa nature. S’agit-il d’un simple jeu de miroirs ou d’une sorte de projecteur à plasma? J’ai déjà vu des gens manipuler directement ces ectoplasmes, mais je ne suis pas rassuré pour autant. Je ressens la même angoisse que le jour où je me suis décidé pour la première fois à passer mon doigt au travers d’une flamme de bougie. Ha, c’est une idée, ça! Je vais essayer de l’éteindre en soufflant dessus.

Rien ne se passe. Nielle me regarde, surprise.

– Qu’est-ce que tu as essayé, là?

– Je voulais voir si je pouvais l’éteindre en la soufflant comme la flamme d’une bougie.

– Ca aurait pu marcher si le réseau avait connu ton intention. Tu sais, il n’est pas plus télépathe que toi ou moi.

Bon, maintenant, je sais comment faire apparaître une petite boule lumineuse au-dessus d’un bête disque doré. Je sais aussi comment l’éteindre. C’est génial!

– Et maintenant qu’il est allumé, on fait quoi?

– D’abord, il faut régler la taille de l’affichage. Moi, je fais comme ça:

Elle « pince » la sphère entre ses index, clique dessus des deux doigts, puis les écarte lentement. La boule s’enfle immédiatement, comme si elle était collée au bout des doigts de ma bien-aimée. Un nouveau clic, et la sphère est libérée, figée à sa nouvelle dimension.

– A ton tour. Essaye de la réduire!

– Heu, c’est pas dangereux?

– Pas le moins du monde. Tu m’as vu à l’oeuvre et il ne m’est rien arrivé.

N’empêche, je ne suis pas rassuré. Je n’ai pas vraiment envie de toucher cet effluve mystérieux. Du moins pas pour l’instant. Il faut que je trouve autre chose.

– Heu, je voudrais que l’affichage ait une taille de, disons, quinze centimètres de diamètre. Heu non, plus grand. Voilà, c’est parfait. Merci!

– Eh bien, tu t’en sors pas mal. Tu as compris qu’il n’y a pas qu’une manière de faire les choses. L’important, comme dirait Mongo, c’est que l’information passe.

– Bon, c’est pas tout de se connecter, mais l’info qui est dans le réseau, on y accède comment?

– Et bien comme tout le reste: tu demandes et le Réseau t’affiche le résultat de la requête. Tu peux à tout moment la détailler ou la corriger. Tu voudrais voir ou savoir quelque chose de particulier?

– Heu, je sais pas, moi… Ha oui! Il y a un truc qui me turlupine depuis que je suis ici: c’est la mesure du temps. J’ai cru comprendre que la kiloseconde a remplacé les heures, minutes et secondes. Je voudrais en savoir plus.

– Eh bien, demande-le au Réseau, tu verras bien.

– Heu, Réseau, tu pourrais m’expliquer comment on mesure le temps, actuellement? Quel est l’intérêt de la kiloseconde? On ne peut pas en mettre un nombre entier dans un jour. C’est pas pratique, non?

La masse laiteuse flottant devant nous se transforme en un tableau noir sur lequel une craie se met à griffonner quelques figures. Une voix synthétique au ton professoral commente:

– Regarde! A gauche, tu as le système classique des heures, minutes et secondes encore en usage sur la Terre. Ce système, formalisé par les babyloniens il y a plusieurs milliers d’années, est basé sur le mouvement de la Terre par rapport aux astres. L’unité de base est le jour solaire, c’est-à-dire le temps entre deux passages successifs du Soleil au méridien. Le jour terrestre est subdivisé en 24 heures de 60 minutes de 60 secondes. Ce découpage, quoique non décimalisé, est parfaitement adapté aux besoins des terriens, bien qu’il faille de temps en temps rajouter ou soustraire une seconde pour compenser les irrégularités de la rotation de la planète. En revanche, les multiples ont toujours posé problème: comment accorder les 365 jours et des poussières de l’année solaire avec les environs 29 jours du mois lunaire? Chaque civilisation a inventé son propre calendrier en bricolant tant bien que mal des jours de compensation par-ci par-là. Avec le temps, et pour des raisons plus politiques et économiques que scientifiques, s’est imposé un système qui, bien que très précis, n’était pas vraiment satisfaisant.

– Ca, c’est vrai. Le coup de l’année bissextile qui tombe tous les siècles, mais justement pas en l’an 2000, merci. Je m’en serais bien passé!

– Une péripétie parmi d’autre, mais passons. Lors de l’éclosion, dès que des gens se sont installés à demeure sur d’autres planètes, lunes ou autres stations orbitales, il est devenu évident que ces calendriers terriens devaient être remplacés par autre chose.

– J’imagine qu’il a dû y avoir une belle bagarre pour imposer votre nouveau système.

– En fait, au début, personne n’y a pensé. Chaque colonie a bricolé un calendrier adapté à ses besoins. On n’était d’accord que sur une chose: le nombre de secondes standards depuis le début officiel de l’éclosion.

– Oui, je sais. Le premier janvier 1970. Mais, il n’y a pas des effets relativistes à prendre en compte?

– Ils sont presque négligeables. La seconde standard est déterminée en fonction d’un référentiel immobile par rapport à l’espace-temps en expansion.

– Pfouuh! Ca devient un peu compliqué pour moi, tout ça. Et on est en train de sortir du sujet. On y est venu comment, alors, à ce nouveau calendrier?

– Petit à petit, les gens qui avaient à se déplacer fréquemment dans le système solaire ou ceux dont l’activité était en relation avec les autres mondes se sont habitués à utiliser la seule unité commune: la seconde et surtout son multiple, la kiloseconde. Avec le temps, sur tous les mondes où la durée des jours et des nuits était artificielle, en gros partout sauf sur Terre et sur Mars, la durée officielle du jour – le jour normal – a été établie à cent kilosecondes, soit presque 28 heures terrestres. A partir de là, on a défini la mégaseconde – un million de secondes – comme dix jours normaux, puis la saison de cent jours, l’année de mille jours et finalement la gigaseconde – un milliard de secondes – de dix années.

– Alors, comme ça, sur la Terre, on a gardé les douze mois de trente ou trente et un jours, avec les semaines de sept jours qui ne sont alignées sur rien du tout?

– Non, bien sûr. Ce que la révolution française n’avait pas réussi, l’Eclosion l’a accompli: L’année du calendrier terrien moderne comporte treize mois de vingt-huit jours – exactement quatre semaines -, et aussi quatre saisons de treize semaines. Un ou deux jours sont rajoutés en fin d’année – les chouias – selon les années.

– Treize mois? Treize semaines? C’est impensable! Non, j’y crois pas. Personne n’aurait osé faire une telle proposition.

Nielle me regarde sans comprendre. Et j’ai aussi la vague impression que la console elle-même exprime la plus profonde perplexité.

– Ben ouais, quoi! Avec toutes les superstitions liées au nombre treize. Vous devez quand même savoir que ce nombre a la réputation de porter malheur?

Nielle ne sait pas si elle doit rire ou s’inquiéter pour ma santé mentale. Sur la console, le tableau s’est effacé, redevenant une simple masse laiteuse.

– Hé! oh! Minute! J’y crois pas à ça. Je suis pas superstitieux, moi. Le nombre exact de mois dans l’année, je m’en fous. Mais bon, treize… quand même!?

Un long silence s’installe. Nielle se décide à le rompre.

– Bernard, tu ne voudrais pas savoir d’autres choses?

– Absolument! Ben, disons… C’est possible de voir la Terre?

– Demande-le au Réseau, tu verras bien.

– Heu, Réseau, je voudrais voir la Terre. Plus particulièrement l’Europe. C’est de là que je viens.

La masse laiteuse devient transparente et révèle la plus belle mappemonde que je n’ai jamais vue: un magnifique croissant bleu et blanc. La voix synthétique précise qu’il s’agit de la vue actuelle à la verticale du continent européen. Apparemment, il fait nuit là-bas.

– Ce serait possible de la voir de jour?

– La même vue, il y a trente-sept mille secondes.

C’est merveilleux. L’image est d’une netteté époustouflante. On voit les cumulus qui bourgeonnent, le miroitement du soleil sur les océans. Cette fois, j’ai presque envie de la prendre dans mes mains. Mais si je me retiens, ce n’est plus de crainte de me brûler, mais de peur de commettre un quelconque sacrilège.

La région qui m’intéresse, la Suisse, est sous les nuages.

– On peut enlever les nuages? Heu, pas en vrai, juste à l’affichage.

Nielle sourit. Elle me regarde faire mes premiers pas dans ce monde virtuel.

En quelques secondes, les nuages se sont dissipés. Les contours du continent sont maintenant parfaitement visibles. Ils ne correspondent toutefois pas aux cartes gravées dans ma mémoire. Serait-ce dû au réchauffement global?

– De combien le niveau des océans s’est-il élevé depuis l’Eclosion?

– De six mètres et quinze centimètres. Ce chiffre est caractérisé par une incertitude de trente-cinq centimètres en raison du manque de données à l’Eclosion.

Un fin trait rouge clignotant marque les contours du continent tel que je le connaissais. Mais ce qui attire mon attention, c’est la végétation. Ou plutôt l’absence de végétation sur les rives de la Méditerranée. En effet, si le nord du continent est couvert d’une masse verte compacte, la péninsule ibérique, le sud de France, ainsi que l’Italie et les Balkans sont marqués de la couleur ocre des déserts.

– On peut faire un zoom sur le massif alpin? J’aimerais vérifier quelque chose.

Les bords de la planète disparaissent progressivement. Devant moi flotte l’image d’une chaîne de montagnes qui aurait dû être recouverte d’un manteau neigeux. Mais il n’en est rien. Même le Mont-Blanc ne mérite plus son nom.

– C’est fou, Il n’y a plus aucun glacier. Ils ont disparu depuis quand?

La voix issue du réseau me répond:

– Le dernier glacier alpin a été officiellement rayé des cartes en l’an 147. Hormis les calottes polaires, il subsiste encore un certain nombre de glaciers dans l’Himalaya et deux dans les Andes.

La fascination a complètement effacé la peur que je ressentais envers cet écran holographique. Je trace du doigt un petit cercle autour du lac Léman. Immédiatement, la zone marquée occupe tout l’affichage.

Je m’attendais à bien des changements par rapport aux photos satellites de mon époque, mais le choc est terrible. Nielle réalise mon trouble.

– Qu’est-ce qu’il y a? Tu as l’air troublé.

– Plus rien n’est comme avant. Les seules choses que je reconnais sont les lacs. Sinon, il n’y a plus que de la forêt. Les routes, les villes et les villages, tout a disparu. Il n’y a même plus de cultures. Les seules traces d’activité humaines sont ces grands cercles gris à l’emplacement des grandes villes comme Genève, Lausanne, Neuchâtel et Fribourg. Je sais que la population terrestre a fortement diminué, mais où vivent tous les gens qui subsistent?

– Nielle pointe le cercle gris sur la rive nord du lac.

– C’est là que tu vivais, non?

– Oui, à Renens, dans la banlieue ouest de Lausanne.

Je m’apprête à zoomer sur le cercle, mais je me retiens. La certitude m’envahit que le meilleur moyen d’en savoir plus, c’est d’aller sur place. Découvrir à distance ce qu’il est advenu de « Chez Moi » me serait insupportable.

– Non, je ne veux plus voir ça!

J’accompagne mon cri de rejet par une forte gifle dans l’image. Celle-ci se déforme puis éclate en une multitude de gouttelettes colorées qui s’éparpillent dans le courant d’air avant de se dissiper. C’est beau, mais je ne m’attendais pas à cela.

– Merde! Je crois que je l’ai bousillé. Quel con je suis!

– Mais, non. Ce n’est rien. Tu l’as juste éteint un peu brusquement. Rallume-le! Tu verras qu’il est en parfait état.

Je caresse délicatement le disque doré.

– Je suis désolé. Je ne voulais pas te faire de mal. Tu m’en veux? S’il te plaît, allume-toi pour me montrer que tu me pardonnes. Je te promets que je ne le ferai plus.

Pour toute réponse, la sphère laiteuse réapparaît.

– Tu vois, je te l’avais dit: tout va bien.

– J’ai vraiment eu peur de l’avoir abîmé. On va continuer avec quelque chose de moins affectif. Il y a cette histoire de pile… thermochose, là. Tu m’as dit que j’en saurais plus en consultant le Réseau. Je vais essayer.

– Tu sais comment faire, maintenant.

– Hé! le Réseau? Parle-moi des piles thermo… thermo-je-sais-plus-quoi. Enfin, de ces piles comme on en a retrouvé une qui faisait marcher mon sarcophage cryogénique.

Aussitôt apparaît devant moi une sorte de gros cube noir recouvert d’ailettes de refroidissement.

– Je peux le voir depuis un autre côté?

Le cube se met à tourner lentement. Nielle intervient:

– Tu peux le faire plus efficacement en le saisissant dans ta main et en le retournant directement dans la position voulue.

– Attends, comme ça, je le prends et je le retourne? Mais ce n’est qu’une image.

– Essaie!

Elle se fout de ma gueule, c’est sûr. Quoique… je ne risque pas plus de me ridiculiser en essayant qu’en m’abstenant.

Avec une légère appréhension, j’approche lentement ma main de l’image flottant devant moi. Je m’attends à passer au travers de l’objet. Qu’elle n’est pas ma surprise? En entrant en contact avec le cube en rotation, je sens celui-ci glisser sous mes doigts. Je sais qu’il ne s’agit que d’une image, mais elle résiste à la pression comme si elle était réellement matérielle. Comment est-ce possible? Je retire ma main précipitamment.

– Mais c’est quoi, ce truc? Ce cube, il est vraiment là? Je veux dire: il a été matérialisé par cette machine?

– Pas vraiment. Mais chaque chose en son temps. Pour l’instant, n’essaie pas de comprendre le fonctionnement. Concentre-toi sur son utilisation.

– T’es vraiment certaine qu’on n’utilise pas de rayonnement dangereux pour produire cette chose fantastique?

– Non! Tu n’as rien à craindre.

Je rassemble tout mon courage et plonge à nouveau ma main dans l’image. Cette fois, j’accepte son contact. Le cube est trop gros pour que puisse le saisir. Mais je parviens à le pousser pour le faire tourner dans le sens que je veux et l’arrêter dans n’importe qu’elle position. Il n’y a pas que des ailettes de refroidissement. Sur deux faces, il y a des plots de fixation avec des trous filetés. Sur une autre face, une prise électrique tout ce qu’il y a de plus classique. C’est même écrit: 230V/10A ~50Hz. La prise n’est pas très bien ajustée, on dirait que quelqu’un a bricolé.

– C’est celle de mon sarcophage?

Le Réseau me répond:

– Ainsi, tu l’as reconnue. C’est donc que tu la connaissais déjà. Pourquoi l’avoir caché à Mongo lors de votre conversation?

– Non, c’est à cause de la prise électrique. Elle est caractéristique de mon époque. C’est la première que je vois ici.

– Admettons.

– Mais ça marche comment? Tout ce que je peux déduire, c’est que le rendement ne doit pas être terrible, sinon il n’y aurait pas besoin d’un tel radiateur.

– Il n’y a aucune déperdition d’énergie. Au contraire, les ailettes servent à collecter la chaleur de l’environnement qui est convertie en électricité par la pile.

– Ho, mais c’est contraire au deuxième principe de la thermodynamique! La chaleur est une forme dégradée d’énergie et elle ne peut être intégralement retransformée en énergie noble. En plus, il faut une source froide pour évacuer la chaleur inutilisable, sinon ça ne marche pas.

– C’est ce que tout le monde croyait jusqu’à ce qu’un chimiste du nom d’Emmel découvre que l’un des colorants qu’il étudiait avait une propriété étonnante: vaporisé en couche mince, celui-ci présentait une conductivité thermique asymétrique.

– C’est à dire?

– C’est-à-dire que la chaleur est transmise plus facilement dans un sens que dans l’autre. Dans un matériau normal, symétrique, l’équilibre thermodynamique est atteint quand les deux faces sont à la même température. Pour les membranes Emmel, l’équilibre est atteint alors que subsiste une légère différence de température entre les deux faces, de l’ordre d’un millième de Kelvin par micron.

– Bof, c’est pas terrible.

– Celà correspond tout de même à une différence de température de cent Kelvins pour une pile de dix centimètres d’épaisseur. C’est largement suffisant pour faire tourner une machine thermique classique. La chaleur résiduelle est simplement remise dans le circuit.

– Le mouvement perpétuel, c’est ça? Je veux bien admettre que, venant d’une époque primitive, je ne peux pas comprendre les bases scientifiques des merveilles qui m’entourent. Mais de là à accepter de jeter aux orties LE principe de base de la mécanique, il y a un pas que je ne peux franchir.

– Personne ne te le demande. Le mouvement perpétuel est tout autant impossible aujourd’hui qu’il ne l’était à ton époque. Il ne s’agit ici que d’extraire une partie de l’énergie thermique de l’environnement en le refroidissant. Ca ne marche que sur les mondes proches d’une étoile. Une telle pile serait totalement inutilisable sur les mondes glacés aux confins du système solaire.

Durant la conversation, le Réseau accompagne ses paroles d’une multitude de diagrammes, de figures en coupes et d’autres illustrations. C’est le cours de technologie le plus efficace qu’il m’ait été donné de suivre. Le plus naturellement du monde, j’apprends tout ce que j’avais envie de savoir sur les fameuses piles thermodynamiques. Mon enseignant virtuel parvient même à devancer certaines de mes questions. C’est génial.

– Nielle, tu savais tout ça?

– Pas tout. Tu sais, la production d’énergie, c’est pas vraiment mon truc.

Pour l’instant, j’en sais assez sur les piles Emmel. La seule question question pendante est: comment une telle pile a-t-elle pu être incorporée dans un appareil fabriqué dans les années nonante, près de quinze ans avant la découverte de son principe de fonctionnement? Et cette question-là, c’est le Réseau lui-même qui me la pose.

Je me tourne vers Nielle.

– J’ai envie de faire un petit tour du système solaire. Ca te dit?

– Où tu voudras mon amour. C’est toi qui choisis ce que tu veux découvrir.

Du dos de la main, je repousse un diagramme montrant le rendement direct d’une membrane Emmel en fonction de divers paramètres. Sans que j’aie besoin de formuler ma requête, le diagramme est remplacé par un modèle tridimensionnel du système solaire. Au premier abord, ce modèle est assez décevant. Le Soleil est représenté par une tête d’épingle jaune. Les planètes apparaissent sous la forme de simples points vaguement colorés. Une nuée scintillante matérialise la ceinture d’astéroïdes entre Mars et Jupiter. Plus inhabituelle est la présence d’un second nuage au-delà de Neptune: sans doute la ceinture de Kuiper. Le tout est en mouvement rapide, Mercure bouclant chaque seconde un tour autour de l’étoile.

La voix synthétique du Réseau énumère les noms des principaux astres. Simultanément, leur représentation dans le modèle s’enfle pour permettre d’en apprécier l’aspect général. Jupiter devient une balle de golf laiteuse couverte de nuages turbulents. La Terre est une petite perle bleue nacrée de blanc, accompagnée dans sa ronde par une petite Lune tourbillonnant comme un moustique autour d’une lampe.

– … et finalement Neptune, huitième et dernière planète.

– Et Pluton? Vous faites quoi de la neuvième planète?

– Pluton n’est pas considérée comme une planète majeure. Il n’est que le premier objet transneptunien à avoir été découvert. Ce n’est d’ailleurs même pas le plus gros. Le voici avec son compagnon Charon!

L’un des innombrables points de la ceinture de Kuiper grossi pour apparaître comme une planète double, deux petites sphères dansant l’une autour de l’autre.

– Et il y a des gens qui vivent sur tous ces astres?

– Non, seulement sur une centaine. Les quatre planètes gazeuses sont inhospitalières, du moins pour les organismes terrestres. Il n’est pas exclu que des formes de vies locales s’y soient développées. Malgré des siècles de recherches, on n’a pas encore de réponse définitive. En revanche, il y a une présence humaine sur presque toutes les planètes et lunes telluriques, ainsi que sur de nombreux astéroïdes.

– Même sur Io?

– Ha non, pas Io. Son intense volcanisme rend très hasardeuse la sécurité d’une éventuelle colonie à sa surface. Les autres lunes à n’avoir pas été colonisées sont Europe, Ganymède et Titan, mais cette fois-ci en raison des risques biologiques.

– Ainsi, il y a bien de la vie dans les océans sous les croûtes de glace d’Europe et de Ganymède. On ne faisait que soupçonner la présence de ces océans à mon époque. Mais sur Titan, ça me surprend. N’y fait-il pas trop froid?

– Si, beaucoup trop froid. Mais lorsque les premiers explorateurs s’y sont risqués, leur présence a provoqué une élévation locale de la température. Mais même si cette température restait largement au-dessous du point de congélation de l’eau, des phénomènes prébiotiques totalement insoupçonnés se sont déclenché qui ont eu des conséquences fatales. Depuis, les seules intelligences présentes sur ces mondes sont robotiques.

Devant moi, le modèle du système solaire devient presque transparent à l’exception des quatre planètes intérieures, de certaines lunes des planètes géantes et de nombreux corps des deux ceintures. Il y a aussi un certain nombre de points supplémentaires.

– Voici l’ensemble des mondes habités. Les mondes artificiels y sont également représentés. Le point clignotant en orbite autour de la Terre est Rama.

Je passe un doigt sur la trajectoire de Mercure. La planète le traverse sans problème. Seul un léger picotement se fait sentir à chacun de ses passages.

– Il ne fait pas trop chaud sur Mercure pour y vivre?

La planète occupe maintenant presque tout le volume. Il y quelques points de lumière qui percent la nuit polaire.

– Trop chaud et aussi trop froid. La différence de température entre le jour et la nuit à l’équateur est d’environ six cents degrés. Les régions polaires en revanche sont un peu plus « accueillantes ». On y a même trouvé un peu de glace au fond des quelques cratères à être toujours plongés dans la nuit. C’est là que se sont installés les premiers colons. Par la suite, ils ont creusé de vastes cavernes pour se protéger du rayonnement solaire. Le principal problème, c’était l’approvisionnement en eau.

– Et il a été résolu comment ce problème?

– Par les comètes. C’est une technique inaugurée par les Luniens et qui est maintenant utilisée dans tout le système solaire intérieur, à l’exception de la Terre, évidemment.

– Comment ça, par les comètes? Quand une comète passe, on la prend au lasso et on la dépose sur une planète?

– C’est cela, mais on ne les prend pas au passage. On va les chercher directement dans la ceinture de Kuiper. Il y a actuellement un millier de comètes en cours d’acheminement vers les mondes proches du Soleil.

– Un millier? Wow! Le spectacle de toutes ces queues dans le ciel doit être fabuleux.

– Non, pas du tout. Leur substance est trop précieuse pour qu’on la laisse s’évaporer au soleil. On les garde bien à l’abri des voiles solaires utilisées pour contrôler leur trajectoire.

Je prends soudain conscience d’un point particulier:

– On peut revoir le modèle avec les mondes habités?

Le système solaire dans son ensemble flotte à nouveau devant mes yeux.

– C’est bien ce que je me disais: il y a une bulle dans votre truc. Vénus est marquée comme une planète habitée. Il doit plutôt s’agir des stations spatiales qui orbitent autour, non?

– Non, non! Il y a effectivement une colonie installée à la surface de Vénus.

– Attends! C’est tout simplement pas possible. C’est l’Enfer, là-bas! Quatre cent cinquante degrés centigrades, une pression de nonante bars et une atmosphère saturée d’acide sulfurique. Qui serait assez taré pour vouloir aller se fourrer là-dedans?

– Cette description correspond assez bien à ce qu’était Vénus avant le début de sa réhabilitation. Regarde ce qu’elle est aujourd’hui!

C’est ça, Vénus? Cette grosse lune noire vérolée de cratères aux parois grises, avec ça et là de vagues taches colorées? Malgré moi et malgré la finalité de l’action entreprise, je suis choqué. Comment a-t-on pu mutiler à ce point l’étoile du berger, l’incarnation de la déesse de l’Amour? Fallait-il vraiment souiller le symbole de la pureté pour en faire un vulgaire sac à charbon?

– Mais vous lui avez fait quoi? Je me souviens de cette magnifique étoile blanche qui brillait dans le ciel du soir ou de l’aube. On ne doit plus pouvoir la discerner à l’oeil nu maintenant. C’est révoltant!

Nielle pose sa main sur mon épaule.

– Calme-toi! Ca ne sert à rien de te mettre dans cet état. Comme tu le dis toi-même, Vénus était un enfer. Des gens tentent d’en faire un paradis. Fallait-il y renoncer pour sauvegarder une illusion poétique?

Le Réseau continue:

– Lorsque la transformation sera terminée, Vénus brillera à nouveau dans le ciel de la Terre. Mais elle y renaîtra sous la forme d’une étoile bleue, comme Mars. La poésie n’a-t-elle pas tout à y gagner?

Vu sous cet angle, je n’ai plus rien à dire. Et puis, la curiosité scientifique reprend vite le dessus.

– Quel procédé a été utilisé pour arriver à ce résultat?

– Il faut commencer par le commencement. Comment l’atmosphère de Vénus, planète jumelle de la Terre, a-t-elle basculé dans un effet de serre mortel?

– Ha! Ca, je sais! C’est que, Vénus étant plus près du Soleil, elle a reçu plus de chaleur. L’eau s’est évaporée et le dioxyde de carbone dissout dans les roches a été libéré dans l’atmosphère, amplifiant l’effet de serre. La température a encore monté, enclenchant ainsi un cercle vicieux.

– La proximité du Soleil n’y est pour rien. Sans effet de serre, Vénus serait une planète glacée, la Terre aussi. Non, Vénus a probablement suivi une évolution tout à fait semblable à celle de la Terre. La vie a dû s’y développer comme sur sa soeur jumelle. Elle possédait une atmosphère d’oxygène avec un effet de serre modéré contrôlé par la biosphère. Le système solaire devait posséder deux planètes bleues.

– Mais, alors, que s’est-il passé?

– On ne le sait pas exactement. L’histoire géologique connue de Vénus commence il y a seulement cinq cents millions d’années. A cette époque, la surface de la planète a été entièrement renouvelée. Il ne reste pas la moindre trace de roches plus anciennes.

– Mais oui, j’en ai entendu parler. A partir des relevés topographiques de la sonde américaine Magellan, on a constaté que les impacts météoritiques sont uniformément répartis sur la surface de la planète, ce qui tendrait à montrer que tous les terrains ont le même âge. La densité des cratères avait permis d’estimer cet âge à environ un demi-milliard d’années.

– C’est exact.

– Mais, alors, C’est ce cataclysme qui aurait détruit l’écosystème vénusien? On en connaît la cause?

– Probablement un très gros astéroïde qui est entré en collision avec la planète. Cela expliquerait entre autres la rotation rétrograde de Vénus. L’énergie libérée a été suffisante pour disloquer complètement la croûte de la planète. C’est cela qui a vaporisé les océans et libéré le gaz carbonique patiemment stocké dans les roches.

– Mais de telles collisions ont dû se produire plusieurs fois lors de la formation du système solaire. Pourquoi Vénus et la Terre n’ont pas alors déclenché leur effet de serre en ces occasions?

– Les conditions étaient alors bien différentes. Le jeune Soleil était moins lumineux que maintenant et le bombardement cométaire était quasi permanent. Si de telles collisions ont eu lieu, effaçant d’un coup toute trace de vie, l’eau et les molécules organiques nécessaires à la vie étaient rapidement renouvelées. La vie est persévérante. Elle ne se laisse pas détruire facilement.

– Mais, si je comprends bien, pour Vénus, il y a cinq cents millions d’années, c’était trop tard. Il n’y avait plus assez de matériau pour l’ensemencer à nouveau?

– Non, hélas!

– Je vais sans doute dire une connerie, mais avec toutes ces comètes qu’on trimbale dans le système solaire, si on en balançait quelques-unes sur Vénus, ça ne pourrait pas faire l’affaire?

– C’est pas une connerie. Cela fait partie du programme de réhabilitation. Mais si l’on se contentait de cela, il faudrait environ un million d’années pour que se rétablissent des conditions favorables à la réémergence de la vie. Et là n’est pas le but. Le projet vise à développer une biosphère qui soit une copie de celle de la Terre. Et les humains ne sont pas très patients. Il leur faut des résultats rapides.

– Oui, je sais. Mais au prix de toutes les négligences. C’est un peu à cause de cela que je suis ici.

– Toujours est-il que le premier acte a consisté à casser l’effet de serre. De gigantesques voiles solaires ont été déployées entre le Soleil et la planète afin de réduire de nonante pour cent la quantité d’énergie atteignant l’atmosphère vénusienne. L’effet a été immédiat. La température a chuté au point que le gaz carbonique a gelé formant une épaisse couche de neige à la surface de la planète. Les nuages d’acide sulfurique sont également tombés sur le sol. En quelques années, Vénus n’était plus entourée que d’une atmosphère résiduelle d’azote semblable à celle de la Terre, l’oxygène en moins.

– Mais alors, si l’atmosphère s’est transformée en neige carbonique, le sol devrait être blanc, pas noir. C’est du carbone pur qu’il y a là, du graphite.

– Attends, attends, c’est pas fini. On a alors saupoudré le sol de la planète avec des milliards de tonnes d’un mélange composé de bactéries spéciales et du bouillon de culture adapté. Ces bactéries ont été conçues pour dissocier le gaz carbonique, libérant l’oxygène dans l’atmosphère.

– En somme, c’est de la bête photosynthèse.

– Non! N’oublie pas que la planète ne reçoit pratiquement plus de lumière du soleil. Les bactéries se nourrissent du bouillon de culture. Le carbone est rejeté sous forme de membranes monoatomiques de carbone pur. Il forme désormais une croûte épaisse, retenant la neige carbonique prisonnière. La température à la surface peut être augmentée progressivement, au fur et à mesure de la dissociation du CO2.

– Mais le souffre, il devient quoi?

– Comparé au gaz carbonique, il n’y en avait pas tant que cela. Lors du refroidissement de l’atmosphère, l’acide sulfurique est tombé en pluie et s’est neutralisé au contact du sol rocheux. Le tout a été par la suite recouvert par la neige carbonique.

– Ca, c’est la théorie. Ces tâches colorées prouvent que, par endroits, la couche de composés soufrés affleure et est dispersée par le vent. Si l’on veut transformer cette planète en jumelle de la Terre, il y a encore pas mal de problèmes à résoudre.

– Bien sûr! Il faudra encore deux siècles pour résorber tout le gaz carbonique. Il faudra parallèlement éviter de libérer trop d’oxygène dans l’air. A ce stade, on pourra commencer à vaporiser les comètes dans l’atmosphère.

– Ca va prendre un temps fou. il en faudra des dizaines de milliers, au moins!

– Entre deux à trois cents pour couvrir le quart de la planète d’un océan profond d’un kilomètre.

– Seulement? Mais alors des grosses!

– De l’ordre de cent kilomètres de diamètre.

– Ha, quand même! Et on fait ce genre de travaux dans tout le système solaire?

– Bien sûr! Tu veux voir comment cela se passe sur Mars?

– Et comment!

La planète Vénus s’efface. A sa place, je m’attends à voir une boule rougeâtre, une planète désert. Une fois de plus, j’ai tout faux. Le rouge est encore largement dominant, mais les zones les plus basses forment désormais un océan couvrant approximativement le quart nord de la planète. Le bassin d’Hellas, dans l’hémisphère sud, a également été transformé en mer. De nombreux lacs occupent le fond des principaux cratères. Quelques fleuves se cherchent un lit dans un terrain qui n’a pas été conçu pour eux. Des rives de chaque plan d’eau, la végétation se lance à la conquête des déserts. Par dessus, au sein d’une atmosphère bien plus dense que celle dont la petite planète était revêtue depuis tant de millions d’années, de vastes systèmes nuageux s’emploient à redistribuer l’eau évaporée du tout jeune océan. A la différence de ma planète natale, la face nocturne est parsemée de lumière, preuve évidente d’une présence humaine à la surface.

– Wow! Et bien, la terraformation de Mars est déjà bien avancée. Est-ce qu…

Nielle m’interrompt.

– Ne parle surtout pas de terraformation de Mars à un martien. Ils sont extrêmement susceptibles. Pour eux, ce terme a des relents de colonialisme.

– Oh, ce n’est pas politiquement correct. Je vais tâcher de faire attention. Mais alors, comment faut-il nommer ce processus: réhabilitation, comme pour Vénus?

C’est le Réseau qui me répond:

– C’est une possibilité. Mais les martiens utilisent plutôt biosphèrisation, vitalisation ou revitalisation.

J’essaie d’imaginer la livraison d’une comète.

– Lors de l’arrivée d’une comète, vous faites comment pour éviter les accidents? La chute d’un tel monstre doit provoquer des tremblements de terre, heu… de Mars. Même si l’on évite soigneusement les zones habitées, les conséquences ne sont pas négligeables, non?

– Il n’est pas question de les précipiter directement sur la planète. On les insère d’abord sur une orbite haute, Ensuite, on les fait descendre jusque vers deux cents kilomètres de la surface.

– C’est vachement bas. Les effets de marée doivent briser la comète très rapidement. Et puis, à cette altitude, l’atmosphère résiduelle doit freiner les morceaux et les faire tomber un peu n’importe où.

– Tu as raison, mais comme il s’agit essentiellement de glace d’eau, le tout est vaporisé bien avant de toucher le sol. Et la comète est fragmentée artificiellement bien avant qu’elle n’atteigne sa limite de Roche.

Un film tourné lors de l’arrivée d’une comète est projeté sur la console. Mais peut-être ne s’agit-il que d’une simulation. On y voit en accéléré l’arrivée d’un astéroïde de glace parsemé de cratères. Une sorte de gros papillon métallique est agrippé à sa surface. Les ailes du pseudo-insecte forment un carré au moins vingt fois plus vaste que sa proie. D’après le Réseau, elles servent autant à contrôler la trajectoire de la comète qu’à la protéger de la chaleur du Soleil. A l’approche de la planète, la taille réelle de la voile apparaît dans toute sa démesure: deux à trois mille kilomètres de côté, peut-être plus. Elle serait irrémédiablement réduite en lambeaux par le champ de gravité de Mars, si elle s’en aventurait trop près. Pour échapper à ce terrible destin, elle se replie sur son chargement, l’enrobant comme une plante carnivore autour de sa proie. Cette carapace devient transparente, laissant le rayonnement solaire réchauffer la glace sous-jacente. Rapidement, l’enveloppe se gonfle et de petits jets de vapeur commencent à s’échapper de-ci de-là. D’autres jets, bien plus importants et parfaitement contrôlés tendent à freiner la comète et l’entraînent sur une orbite de plus en plus basse. La chute s’interrompt à la lisière de l’atmosphère. Le cocon se met alors à pondre un long chapelet d’oeufs qu’il envoie se vaporiser vers le sol. La ponte terminée, il ne reste plus qu’un petit bulbe flétri. Celui-ci se contracte pour expulser le reste de sa cargaison en un puissant dernier jet de vapeur. Propulsée hors du puits gravitationnel de la planète, la voile se déploie à nouveau et s’enfonce dans l’espace infini.

– Ouah, cool! C’est absolument génial. On croirait facilement qu’il s’agit d’un animal venant se reproduire sur sa plage natale. J’aurais bien voulu avoir une idée comme celle-là.

Le Réseau me fait une réponse énigmatique:

– Il est parfois des idées dont l’origine étonnerait même son auteur.

Je ne cherche pas à comprendre, d’autres questions se bousculent sur mes lèvres.

– Il y a quelque chose qui me tracasse. C’est peut-être encore plus valable pour Vénus que pour Mars. Ces deux planètes ne possèdent pas de magnétosphère, ni de couche d’ozone. Comment protéger les habitants des rayonnements ionisants?

– Pour la couche d’ozone, il n’y a pas de problème. Celle-ci se forme spontanément dès que l’on relâche de l’oxygène dans l’atmosphère. Le problème posé par l’absence de magnétosphère n’a, par contre, pas encore été résolu. Il existe une solution provisoire consistant à placer un satellite au point de Lagrange entre la planète et le Soleil. Lorsqu’une éruption solaire envoie une bouffée de particules mortelles vers Mars, le satellite souffle une énorme bulle de plasma pour les retenir. Ce système est assez efficace pour réduire la dose de rayonnement à la surface de la planète à un niveau supportable.

– Mais si le satellite tombe en panne, il y a du martien grillé au menu, non?

– C’est bien pour cela que cette solution n’est que provisoire.

Tant de nouveautés en si peu de temps. J’ai mal à la tête. Il me faut faire une pause.

– Bon, Les planètes extérieures attendront. Là, j’en ai trop appris en une fois. Je crois que ma tête va éclater.

D’un geste, je balaie l’image. La console s’éteint.

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