Intermède

En ce temps-là, il y a des siècles, il n’y avait pas d’air sur la Lune. Pas d’air pour respirer, pas d’air pour se protéger des rayons mortels de l’étoile. Nos ancêtres devaient, pour survivre, construire leurs maisons sous le sol. L’eau aussi manquait. Dans les premiers temps de l’éclosion, l’eau et l’air étaient importés de la grande planète bleue. Jour et nuit, des fusées gigantesques s’arrachaient au puits gravitationnel terrestre pour permettre à la communauté lunaire de se développer. Mais cela coûtait extrêmement cher. Nos savants décidèrent alors de fabriquer l’eau ici même, sur la Lune. On pouvait la synthétiser à partir de l’oxygène extrait des roches. Ce processus exigeait également de l’hydrogène. Malheureusement, sur notre monde, cet élément était bien plus rare que l’or. Il fallait encore faire appel à la générosité des terriens. Seulement, en n’important que de l’hydrogène, chaque cargaison contenait de quoi fabriquer neuf fois plus d’eau. C’était un grand progrès. Hélas! Très vite, le développement de notre communauté entraîna des besoins supérieurs aux capacités de transport, et surtout à nos moyens financiers encore limités. Il fallait se résoudre à rationner la consommation.

En ce temps-là, un petit garçon au doux nom de Vénus aimait regarder la Terre sur l’écran mural avant de s’endormir. Chaque soir, ses parents lui posaient un verre rempli d’eau sur sa table de chevet. Chaque soir, ils le mettaient en garde de ne pas le renverser, tant ce liquide était précieux. Alors, il rêvait à ce monde magique où l’eau était si abondante qu’elle tombait du ciel, coulait en bas des montagnes et faisait déborder des océans si vastes qu’ils couvraient près des trois quarts de la planète. Il rêvait qu’un jour l’eau coulerait aussi sur la Lune. Dans son sommeil, il survolait les crêtes enneigées des cratères, plongeait au fond des lacs que ceux-ci retenaient, voguait sur l’Océan des Tempêtes, luttant contre les éléments déchaînés.

Plus tard, quand il fut devenu un beau et grand matelot de l’espace, Vénus rêvait toujours à une Lune couverte d’eau et de végétation. Un jour que son navire était à quai, il rencontra dans une taverne un vieux loup de l’espace qui lui raconta son expédition sur la comète de Halley. Il lui dit qu’il y avait là suffisamment de glace pour hydrater le gosier de tous les habitants de l’espace pendant au moins un siècle.

Pour Vénus, ce fut une révélation. Voilà comment mettre de l’eau sur la Lune. Il suffirait d’y précipiter quelques comètes!

Sa vie en fut bouleversée. Finis de bourlinguer sans but à travers tout le système solaire. Il avait maintenant une tâche à accomplir : monter une expédition qui irait aux confins du système, au-delà de Neptune, la huitième et dernière planète, là où dorment depuis toujours d’innombrables boules de neige sales, comètes en puissance.

L’objectif était de rassembler un troupeau de ces moutons glacés, de le diriger vers l’étoile et ainsi, en berger compétent, le conduire vers son destin: la Lune!

De nombreuses années s’écoulèrent au cours desquelles Vénus sollicita audience auprès des puissants de tous les mondes pour s’assurer de leur soutien dans sa quête. Il ne récoltait que mépris et quolibets. Pourtant, petit à petit, il parvint à intéresser quelques mécènes visionnaires.

C’est ainsi que, le jour de son cinquantième anniversaire, il s’élança à la tête d’une petite flotte de vaisseaux miniers à la poursuite de son rêve. Malgré les torrents d’énergie crachés par les propulseurs, il lui fallut près de deux ans pour atteindre les noirs pâturages des confins. Le travail sérieux pouvait commencer: chaque vaisseau devait s’approcher doucement de sa proie, la capturer dans ses filets, s’y arrimer solidement, puis, de toute la puissance de ses moteurs, la forcer en direction de la fournaise centrale. D’abord lentement, le troupeau se rassembla, puis, glissant de plus en plus vite dans le puits gravitationnel, il transhuma vers les mondes telluriques.

Mais il ne suffisait pas de simplement précipiter le cheptel sur la Lune, ses nombreux habitants n’y auraient pas survécu. Vénus démontra son immense talent de navigateur spatial que tant de capitaines lui envient encore aujourd’hui. Il utilisa la deuxième planète comme chien de berger afin de ralentir la course folle du troupeau, arrondir son orbite, puis l’envoyer paisiblement là où il était si impatiemment attendu.

Maintenant, il y a de l’eau et de l’air sur la Lune. Vos petits-enfants pourront y respirer sans masque. Vénus ne vécut pas assez longtemps pour profiter de son oeuvre. Mais toujours, le peuple de la Lune se souviendra de lui et donnera son nom à la deuxième planète: Venus, l’étoile du berger.

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