Sous le cromlech

Le jour se lève à peine lorsque le convoi s’immobilise aux abords du cromlech du Menec à Carnac. Les mégalithes, mouillés par une pluie fine, rendent un reflet étrange dans les premières lueurs de l’aube. Les véhicules se posent sur leurs coussinets de stationnement. Leurs occupants sortent, visiblement peu enthousiasmés par les conditions météorologiques du jour. En plus des humains, des robots débarquent également. Ces derniers, indifférents aux rigueurs du climat, prennent immédiatement position à l’intérieur du cercle de pierres levées.Du hameau qui se dressait jadis à cet endroit ne subsiste que quelques pans de murs pratiquement invisibles parmi les herbes folles.

Le petit groupe d’humains, engoncés dans leurs imperméables, s’engage dans une conversation animée, tout en surveillant le manège des machines.

– J’espère que l’on va trouver quelque chose d’intéressant. Qu’en pensez-vous, Mme Leganec? lance l’un d’eux à l’attention du robot de téléprésence qui les accompagne.

Celui-ci tourne ses caméras en direction de son interlocuteur et lui répond avec un fort accent lunaire : – Nous trouverons sûrement quelque chose, mais ne comptez pas trop sur un fragment de soucoupe volante avec la signature d’Astérix. Ce site a déjà été sondé plusieurs fois dans les siècles passés et l’on n’a jamais rien détecté d’anormal.

-Vous pensez donc qu’il s’agirait d’un objet déposé là récemment? Mais quel rapport y aurait-il avec le message?

Le robot n’a pas le temps de répondre, qu’une voix féminine les interpelle depuis l’un des véhicules : – Professeur Montezuma, Mme Leganec, venez vite! J’ai une image.

Agglutinés devant la porte latérale du camion et pataugeant dans la boue, le petit groupe suit les explications fournies par une jeune femme vêtue à l’ancienne : blue jeans et T-shirt. Sur ce dernier est imprimé, outre l’image d’un chat dormant en boule, l’inscription en vieux français : J’AIME LES CARESSES. Loin de là, sur la Lune, Morgane Leganec pense : – Je n’aurais pas cru que même les jeunes terriens suivent cette mode ridicule qui consiste à porter des vêtements d’avant l’Eclosion.

Sortant de ses rêveries, Morgane dirige ses yeux de robots en direction de l’écran holographique dans lequel apparaît la structure du sous-sol du cromlech.

– C’est par ce puits oblique, obturé depuis, que l’objet a été placé là, continue l’assistante du Professeur Montezuma.

– Mlle Lobathevsky, demande quelqu’un, pouvez-vous déterminer depuis quand l’objet se trouve la-dessous?

– Si je me base sur les infiltrations d’eau dans les matériaux qui ont servi à obturer le puits, pas plus de deux ans. Mais il faudrait analyser directement ces matériaux pour donner une estimation plus précise.

Montezuma prend la parole : -Nous verrons cela plus tard. Etudions plutôt l’objet qui est la cause de cette perturbation magnétique. Natacha, agrandissez-nous cela, voulez-vous?

L’objet qui n’était alors représenté que par un point clignotant grandit soudain et occupe à présent tout l’écran. Il a la forme d’un prisme hexagonal d’environ deux mètres de long pour un diamètre de cinquante centimètres. Une des extrémités présente des excroissances, l’autre des creux.

– On dirait une pièce d’un jeu de construction que l’on pourrait mettre bout à bout, déclare un petit homme en essuyant les gouttes qui perlent le long de son visage. De quoi peut-il bien s’agir?

Après un délai d’environ deux secondes, le petit robot (qui permet à Morgane d’être présente sur les lieux) s’agite et déclare : – J’ai déjà vu de tels objets, mais je ne me souviens pas où! Est-il possible de montrer les faces cachées de l’objet?

La jeune femme saisit d’une main l’image de l’objet et la retourne simplement. Sur l’une des faces de l’hexagone apparaît alors une marque de fabrique : Une sphère contenant un barreau marqué des lettes « N » et « S », ainsi que l’inscription « ASTRO-MAGNETICS spa, Venezia, Made on Earth ».

– Mais c’est bien sûr, s’exclame le robot, il s’agit d’un élément identique à ceux qui sont utilisés par milliers sur la Lune, sur Mars et les satellites de Jupiter pour générer une magnétosphère protectrice. Croyez-moi, Professeur Montezuma, notre mystère se résume probablement à une stupide farce d’étudiants. Pour ma part, je suis heureuse de n’avoir pas besoin de récrire les conclusions de ma thèse sur la civilisation celtique. Le « message des étoiles » n’a strictement rien à voir avec mes lointains ancêtres.


Ce texte a été écrit en automne 1993.

Une version mise à jour à été élaborée pour mon second roman « Bienvenue en Acratie ».

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