D’un désert à l’autre

Un mois déjà qu’elle flottait dans cette boite de conserve. Un mois encore avant qu’elle ne parvienne à destination. Deux mois de solitude, deux mois de monotonie absolue pour atteindre la planète rouge, la planète désert, la planète Mars.Oh, bien sûr, elle n’était pas seule à bord du « Simak ». Il y avait également l’équipage. Des hommes et des femmes formant une équipe harmonieuse, travaillant depuis des années dans un but unique: l’accomplissement d’une mission d’exploration planifiée dans ses moindres détails.

Malgré les efforts sincères de l’équipage, la cohabitation dans cet espace exigu n’allait pas sans provoquer quelques frictions. Sa présence à bord n’avait été décidée que quelques semaines avant le départ. Rien n’avait été prévu pour faciliter son intégration à l’équipe. Ses membres avaient été mis au courant qu’ils auraient une passagère, sans plus. Les psychologues de mission improviseraient par la suite pour recoller les éventuels pots cassés.

Elle-même s’était pratiquement fait forcer la main pour accepter ce voyage: On avait besoin d’elle là-haut. Elle seule avait les compétences requises pour résoudre le « problème ». L’importance de la « découverte » était telle que sa présence avait été considérée comme absolument indispensable. On lui avait également fait comprendre qu’en cas de refus de sa part, elle pourrait retourner tout le sable du Sahara, elle ne trouverait plus la moindre piécette pour financer ses futures recherches.

Mais quelle découverte? Qu’est-ce qui justifiait qu’elle abandonne, peut-être pour toujours, ce qui avait été sa vie: ses fouilles, son désert, son coeur. Elle était égyptologue et avait acquis sa réputation dès sa thèse de doctorat en démontrant sans équivoque l’ineptie de l’hypothèse « Star Gate » qui affirmait l’intervention de créatures extraterrestres dans l’histoire des civilisations.

La fascination qu’elle ressentait, enfant, pour les fastes pharaoniques s’était transformée en une véritable passion pour le désert dès son premier voyage sur les rives du Nil. Passion également pour les populations locales, passées et présentes. Passion enfin pour les interactions de celles-ci avec le grand fleuve et le désert omniprésent.

Elle avait laissé derrière elle un désert brûlant et, malgré les apparences, très vivant. Le désert qui l’attendait était au contraire glacé et totalement exempt de vie.

Certes, depuis dix ans que les terriens allaient là-haut, l’environnement martien avait déjà été largement contaminé par des organismes vivants, tant fortuitement que de manière délibérée. Pourtant, Mars restait encore bien plus morte que les plus profondes entrailles de la grande pyramide.

Tout ou partie de son avenir se déroulerait désormais là-haut, bien loin de la Terre. Pourtant, c’était un peu vers son passé qu’elle se dirigeait. Elle y retrouverait son frère paléontologue, parti, voilà plus d’une année, traquer les fossiles de micro-organismes martiens sur les flancs de Valles Marineris. Et puis, il y avait également la tombe de son père, membre de la première expédition et qui fut le premier homme à mourir sur Mars.

Finalement, elle ne regrettait plus vraiment son départ. Elle était même assez impatiente de rejoindre ce nouveau monde où tout était encore à découvrir. Un mois, tout un mois encore à dériver dans le grand encrier, entre la grosse goutte bleue et le petit caillou rouge.


Ce texte a été écrit en octobre 1998.

 

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