Intermède

Chant [1.6.562.].[2.54.32].[16.715:0.21:123]:
Rappelons que les chants ont pour fonction de transmettre les savoirs à tous les peuples des mers. Au début, ils n’étaient chantés qu’à l’usage de notre unique espèce. Puis d’autres espèces, incluant autant nos consoeurs de grande taille que les petites espèces vives et espiègles ou les grands carnivores qui n’hésitent pas à se nourrir de nos enfants, évoluèrent la capacité de comprendre les chants. L’usage qu’ils en font est souvent bien différent du nôtre, parfois très étonnant, mais peu nous importe. Les chants sont destinés à se transmettre et à se perpétuer et tout être pensant est en droit de les savourer et d’en jouir.
La capacité de perpétuer et de transmettre les chants est directement proportionnelle à la capacité mémorielle de l’ensemble des chanteurs. Plus il y a de chanteurs, plus nombreux et plus fiables sont les chants. Avant la Grande Pollution, nous étions si nombreux que nous étions capables de perpétuer d’innombrables chants dont certains avaient été chantés pour la première fois avant même l’avènement du Temps des Glaces.
Avec l’appétit sans limites des singes et les ravages de la Grande Pollution, la population de chanteurs s’est réduite à un niveau si dérisoire qu’il n’est plus possible de préserver l’intégrité des chants, bien loin de là. À ce jour, on estime que près de 95 % des chants ont été perdus ou n’ont pu être transmis par suffisamment de chanteurs pour persister sans déformations significatives. Bien que nos populations soient de nouveau en croissance, nous ne sommes pas encore assez nombreux pour parvenir à préserver les derniers chants qui nous restent.
La perte des chants est un désastre culturel pour tous les peuples de Mer. C’est un savoir accumulé durant des centaines de milliers, voire de millions, de révolutions stellaires qui est en train de disparaitre.
Paradoxalement, ce sont les singes qui pourraient nous aider à préserver ce qui peut encore l’être. Nous sommes la seconde génération à bénéficier de ce qu’ils nomment les connecteurs. Grâce à ces dispositifs de la technologie simiesque, nous avons accès à cet univers factice qu’est le Réseau. Nous avons découvert avec stupeur qu’il est possible d’y enregistrer des chants et de les écouter à nouveau plus tard, et autant de fois qu’on puisse le désirer, sans que leur contenu soit affecté d’aucune façon. Les singes prétendent que le Réseau aurait eu la capacité de mémoriser l’intégralité de tous les chants qui ont jamais été composés et même bien plus… s’ils n’avaient pas disparu par leur faute.
Par ce chant, nous demandons à tous les chanteurs qui ne le seraient pas encore d’accepter de se faire connecter et de déposer par leur simple volonté l’intégralité des chants de leur répertoire. Nous demandons également à tous les membres des autres espèces pensantes, en particulier de celles qui sont parvenues à maintenir une population significative tout au long de la Grande Pollution, de se joindre à ce mouvement et de faire enregistrer au plus vite tous les chants dont ils auraient conservé la mémoire.
Certains penseurs ont des réticences à l’idée de confier nos plus anciennes traditions à ces singes tapageurs et indisciplinés, mais il n’est plus temps de tergiverser. Si nous perdons nos derniers chants, nous ne serons plus que des coquilles vides, notre existence n’aura pas plus de sens que celle de ces stupides bestioles que sont les requins.
Et puis, en communiquant nos chants aux singes, on peut espérer qu’ils les écouteront et acquerront un peu de la sagesse qui y est contenue.

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