Intermède

– Levez-vous ! Aujourd’hui, c’est le jour de la Restitution.
Les enfants se lèvent d’un bond et se mettent à sauter sur leur matelas.
– Ouaiiiiiis ! C’est le jour de la Restitution ! C’est le jour de la Restitution !
– Dépêchez-vous de vous préparer. Si vous voulez avoir quelque chose à restituer, il ne faut pas trainer.
Contrairement à leur habitude, les gosses ne se font pas prier et se précipitent dans la salle de bain. Qui pour faire ses besoins, qui pour prendre une douche rapide, qui pour quelques secondes d’hygiène buccale.

Hé là ! Hé là ! Nini, si tu manges si vite, tu vas te faire mal au ventre ! Foula, il faut encore manger une autre tartine, sinon tu n’auras pas assez de force pour restituer ! Lico, tu n’as pas fini ton chocolat !
Mais rien à faire. Les enfants n’ont plus qu’une seule idée en tête : se ruer dans le parc et restituer, restituer.

Le parc a été aménagé tout au nord de l’ile, au-dessus du huilet Lapetitile, sur un replat en bord de mer entre la montagne et la rivière Sindenit. Il s’agit d’une des rares surfaces engazonnées à l’air libre et de loin la plus grande.
De grandes constructions en carton, pâles imitations des immeubles qui recouvraient jadis l’essentiel des basses terres, sont disséminées sur l’ensemble du parc. Elles ont été érigées ces derniers jours pour les livrer en ce jour à l’impétuosité des marmailles.
À peine arrivés sur les lieux, les enfants se lancent à l’assaut des bâtisses.
– Prenez soin de vos vêtements et ne perdez pas vos mentors. Et surtout, n’oubliez pas que la Restitution ne consiste pas simplement à tout casser.
– Oui, oui ! T’inquiète pas !
Tandis que les mioches courent s’acharner sur les blocs de carton, les parents se regroupent sur la terrasse ombragée d’un café.
– Bon ! Ils en ont pour quelques heures à se défouler. On va pouvoir souffler un peu.
– Oui, tu as raison. C’est vraiment cool des journées comme celle-ci. On devrait en organiser plus souvent.
– Tu veux dire qu’il devrait y avoir plusieurs jours de la Restitution par année ?
– Pourquoi pas ? Mais pas nécessairement sur le thème de la Restitution. Des jours de vacances en quelque sorte.
– Vraiment ? Tu veux dire que tu n’es pas heureux d’avoir rejoint un noeud parental ?
– Non, c’est pas ça. Mais tu dois bien admettre que ce n’est pas tous les jours facile. Je veux dire que ça fait du bien de pouvoir parfois penser à autre chose qu’à l’éducation de la génération suivante.
– Évidemment ! Mais en parlant d’éducation, je me demande parfois si justement, un truc comme la journée de la Restitution, ce n’est pas contreproductif.
– Qu’est-ce que tu veux dire par là ?
– Ben, pousser les gosses à s’acharner sur ces constructions, même s’il ne s’agit que de simulacres en carton, est-ce que ce n’est pas renforcer leurs instincts destructeurs dont nous nous efforçons de les libérer ?
– Mais déconne pas ! Qu’est-ce que tu vas chercher là ? Au contraire, pratiquer la Restitution, c’est leur faire prendre conscience de la nécessité de limiter l’impact sur la nature des activités humaines.
– Oui, peut-être ! Mais je reste sceptique.
– Au fait, il y a quelqu’un qui sait quelle est l’origine de cette fête.
– Ben, de célébrer la Restitution, voyons. T’es débile, ou bien ?
– Non, ce que je veux dire, c’est : depuis quand la célèbre-t-on ? Qui a eu l’idée d’instituer cette journée ?
– Pfouh ! Tu en poses de ces questions.
– Moi, ce que j’ai entendu dire sur le Réseau, c’est qu’il s’agit d’une très vieille tradition qui viendrait de East-Cost. On la fêtait en automne ; le 11 septembre, selon le vieux calendrier.

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