Planètes vivantes

L’histoire de la vie sur Terre montre que l’homme n’est pas l’aboutissement de l’évolution. Son rôle, loin d’être mineur, est de permettre à la vie de franchir la barrière entre les mondes que constitue le vide spatial.

Cela faisait déjà bien longtemps que l’univers avait commencé son expansion. La matière, principalement de l’hydrogène et de l’hélium, s’était déjà condensé en galaxies. Au sein de celles-ci, d’innombrables étoiles se sont allumées, transformant une partie de leur masses en éléments plus lourds, tels l’oxygène, l’azote et le carbone.

Les plus grosses de ces étoiles ne brillaient qu’un instant, à peine quelques millions d’années. Instables, elles finissaient dans une monstrueuse explosion, projetant leur contenu dans l’espace. La matière ainsi libérée alimentait de gigantesques nuages de gaz et de poussières.

C’est ainsi qu’au coeur d’un de ces nuages obscurs, à la périphérie d’une galaxie quelconque, s’alluma une petite étoile jaune. Autour d’elle se forma un cortège de planètes: quatre géantes et cinq petites. Trois parmi ces dernières possédaient une caractéristique particulière; elles étaient partiellement recouvertes d’eau liquide. L’une d’entre elles, trop petite pour conserver son atmosphère, se refroidit rapidement et vit son eau se congeler dans son sous-sol.

Une autre, peut-être trop proche de l’étoile, fut victime d’un effet de serre irréversible. Sa température s’éleva tant que l’eau s’évapora et fut, soit dispersée dans l’espace, soit dissociée au cours de diverses réactions chimiques. Seule la troisième parvint à conserver ses océans.

En ce temps-là, il y a quatre milliards d’années, la Terre était une planète déserte, comme les autres. Pourtant, au fond des océans, se préparait quelque chose qui allait bouleverser totalement l’avenir de ce coin perdu de la galaxie: la VIE.

Il fallut encore plusieurs centaines de millions d’années avant que n’apparaissent les premiers organismes vivants unicellulaires. La planète commençait enfin à vivre. Mais ces débuts furent très lents. Il fallut attendre près de deux milliards d’années pour que l’on trouve des animaux pluricellulaires. Cinq cent millions d’années plus tard, les océans regorgeaient de poissons et d’algues diverses. L’unique continent de l’époque, la Pangée, n’était pourtant qu’un vaste désert. La vie était confinée dans le milieu où elle était apparue, et ne pouvait subsister à l’air libre. Heureusement, cela n’allait pas durer éternellement.

Il y a de cela quatre cent millions d’années, se produisit un événement révolutionnaire dans l’histoire de la planète Terre. Des êtres vivants, poussés par des motivations inconnues, partirent à la conquête des terres émergées. Le plus ancien animal vertébré connu à être parfaitement adapté à la vie terrestre a reçu le nom d’Ichthyostega. Cet amphibien laissa rapidement la place aux premiers reptiles. Ces derniers donnèrent naissance aux dinosaures qui dominèrent la Terre pendant près de cent cinquante millions d’années. Après la disparition mystérieuse de ces titans, les oiseaux et les mammifères prirent leur place.

Et c’est ainsi qu’il y a environ trois millions d’années, un animal étrange se redressa pour regarder par dessus les herbes de la savane africaine. Depuis ce jour, il n’eut de cesse de porter son regard plus loin, par delà les montagnes et les fleuves.

L’homme, puisque c’est de lui qu’il s’agit, envahit les recoins les plus inaccessibles de la planète. Il dompta les océans et s’adapta aux neiges éternelles des régions polaires. Puis il s’attaqua au seul territoire qui lui résistait encore: le ciel, domaine réservé des oiseaux, des insectes et de quelques rares mammifères nocturnes.

En maîtrisant l’aérodynamique, il se hissa rapidement aux confins de l’atmosphère, au seuil de l’univers; cet univers que ses ailes toutes neuves ne pouvaient lui offrir.

Observant les étoiles qu’il ne pouvait atteindre, Homo Sapiens rêva à des mondes semblables à la Terre. Il les imaginait peuplés de créatures lui ressemblant en tout points ou au contraire totalement différentes.

Lorsque ses moyens d’investigation furent suffisants, l’homme se mit à scruter la surface des plus proches planètes. Il ne découvrit que des mondes sans vie, tournant apparemment sans but dans les immensités sidérales.

Aujourd’hui, l’homme possède enfin la technologie lui permettant de quitter sa planète natale. Il s’est déjà rendu dans la proche banlieue de la terre, sur la Lune. La prochaine étape devrait être la planète Mars.

A ce niveau, se pose une question fondamentale: Quelles justifications peut-on trouver à cette course à l’espace? L’Homme trouva de nombreuses motivations à sa quête. Parmi les principales se trouvent la soif de connaissance et le goût de l’aventure. La compétition internationale fut pendant de nombreuses années le moteur de la conquête de l’espace.

Peut-on pour autant dire que ces motivations humaines sont réellement la cause des efforts de l’être humain pour quitter sa planète et se répandre dans l’univers? On peut en douter si l’on considère l’histoire de la vie sur Terre.

Ce que l’astronaute partant à l’assaut des mondes extérieurs ressent comme un accomplissement pour l’humanité, ne serait en réalité qu’une étape nouvelle dans la lente, mais inexorable expansion du vivant. L’Homme serait aux planètes du système solaire ce que Ichthyostega était aux terres émergés de l’ère primaire. Ce n’est pas l’Homme qui part à la conquête de l’univers, c’est la vie qui continue normalement à se développer.

En partant de ce point de vue particulier, comment doit-on prévoir le déroulement de l’exploration du système solaire? Etudions d’abord les scénarii proposés par les défenseurs actuels de l’aventure spatiale.

Les partisans de l’exploration de l’espace peuvent être classés en deux catégories principales: Les aventuriers et les scientifiques. Les premiers veulent aller sur d’autres mondes parce que personne n’y est encore allé. Les seconds veulent y aller pour les étudier in situ.

Dans le cas de la Lune et de Mars, les choses devraient se passer ainsi: Quelques missions d’exploration préliminaires confiées à des scientifiques ayant un sérieux goût de l’aventure. Leur rôle consistera à effectuer certaines recherches géologique et climatologiques, ainsi qu’à construire les premiers éléments de bases scientifiques permanentes. La lune pourrait par exemple accueillir des télescopes géants impossibles à construire sur Terre.

Les grandes agences spatiales planchent actuellement sur de tels projets qui devraient être réalisés au cours du siècle prochain. Par contre, très peu de recherches sont effectuées pour préparer les étapes suivantes, c’est à dire la création de conditions plus favorables à l’Homme à la surface de ces astres (terraformation). En réalité, une très forte opposition se développe contre de telles transformations.

Certains arguments avancés par les opposants à la terraformation sont inspirés des mouvements écologistes terrestres. Ils exigent le maintien des environnements planétaires dans l’état naturel.

D’autres opposants refusent toute action perturbatrice tant que l’on aura pas accumulé une connaissance exhaustive de ces mondes, autant dire pas avant la fin des temps. Cette attitude semble provenir d’un sentiment de perte d’exclusivité de la part de certains astronomes. On peut les comprendre: Le ciel et les astres constituaient leur chasse gardée depuis des siècles.

Le point de vue développé ici soutient au contraire que la prolifération de la vie dans le cosmos devient inéluctable dès lors que l’Humanité se hasarde en dehors de sa planète natale. Il est illusoire d’espérer pouvoir éviter indéfiniment toute contamination lors des missions d’explorations, tant par les sondes automatiques que par les vaisseaux habités.

A ce sujet, des responsables des missions martiennes de l’ex-URSS ont implicitement admis que les sondes qu’ils ont envoyées vers la planète rouge n’ont pas été correctement stérilisées, voire pas du tout. La stérilisation des sondes planétaires a en effet été instituée comme règle par la communauté scientifique internationale.

Si des organismes vivants existent actuellement sur la planète Mars, il est possible qu’ils ne soient pas indigènes, mais qu’ils soient d’origine terrestre et que l’homme en soit directement responsable.

En fait, la prolifération de la vie est la seule raison permettant de justifier l’investissement colossal nécessaire à de tels projets. La science pour la Science, ou les retombées technologiques éventuelles, ne peuvent suffire à convaincre les contribuables. D’autant plus que tant de problèmes urgents tardent à être résolus ici sur Terre.

Afin de faciliter la mise en oeuvre d’un tel programme, il convient d’intégrer ce dessein dans les philosophies politiques modernes. En particulier, l’écologie pourrait paradoxalement constituer un terrain favorable.

L’apparition de l’espèce humaine a entraîné un déséquilibre majeur qui menace la diversité des espèces sur la planète. La quantité d’espèces récemment disparues, ou sur le point de l’être, font craindre une tragédie équivalente à la disparition des dinosaures. Il y a incompatibilité entre le penchant d’organisation à outrance de l’homme et le développement anarchique de la nature. Si l’activité humaine est une menace pour la vie sur la Terre, elle peut être son meilleur allié dans le système solaire, voire même au-delà.

Par exemple, l’intensification de l’effet de serre due à l’émission de CFCs constitue un moyen efficace pour augmenter la température et la densité de l’atmosphère martienne. Cette atmosphère sera constituée essentiellement de gaz carbonique, donc irrespirable.

A ce stade, l’utilisation d’organismes vivants effectuant la photosynthèse permettra d’augmenter progressivement la proportion d’oxygène dans l’air. Le recours au génie génétique, pour augmenter leur efficacité, n’est pas à exclure.

Des mondes déserts et morts seront transformés en « jardins » où l’Homme aura introduit les espèces vivantes qui lui seront utiles. Certaines de ces espèces seront naturelles, alors que d’autres résulteront de sélections minutieuses. D’autres enfin seront le produit de manipulations génétiques délibérées.

A très long terme, lorsque l’humanité se sera parfaitement adaptée à ces nouveaux mondes, elle pourra abandonner la Terre à son destin. Sur celle-ci, l’évolution naturelle pourra reprendre son cours.

La présence de l’homme sur sa planète natale se limitera à l’étude des nouvelles espèces qui y apparaîtront. Certaines d’entre-elles l’accompagneront éventuellement dans son périple vers des étoiles de plus en plus lointaines.

Un jour peut-être, au delà de l’inconnu, entrera-t-il en contact avec des formes de vie différentes, pour lesquelles le mot Terre n’a aucune signification. Mais ceci est une autre aventure.

L’Homme dans l’espace n’est pas une lubie pour savant gâté, c’est une étape capitale dans l’évolution de l’univers.


Ce texte a été écrit au printemps 1993.

 

Laisser un commentaire