14 – Soirée télé

Implicitement, nous décidons que, ce soir, nous ne parlerons plus de la Lune, ni des événements récents.

Une fois l’appartement remis en ordre, le robot se range dans son placard. Nielle se lève et se dirige vers la cuisine.

– Je suppose que tu meurs de faim. Dévaler les pentes des montagnes avec une princesse, ça creuse.

– Jalouse, va! Ça t’apprendra à me laisser tout seul une journée entière.

Elle revient, portant un plat fumant, chargé de crustacés ressemblants à de petits homards, accompagnés d’une purée verdâtre, le tout nappé d’une belle sauce rose.

– Wow! Tu as fait ça toute seule, là, maintenant?

– Je sais, j’aurais dû t’attendre pour que nous le préparions ensemble. Mais je crois qu’à ton époque, c’était la tradition que les femmes préparent seules les repas pour l’ensemble du noeud familial, non?

– Effectivement, mais il s’agissait d’un aspect de la domination machiste qui sévissait encore à cette époque. Heu… C’est plus le cas, aujourd’hui, ou bien?

– Hmm, plus trop.

– Bon, alors ça va pour cette fois, mais à l’avenir, fais gaffe, je prends vite de mauvaises habitudes.

– J’y veillerai.

Elle pose le plat sur la table.

– Alors là, j’suis épaté. Après toute cette agitation, tu vas tranquillement à la cuisine et, pouf! C’est prêt.

– Mais pas du tout. En fait, c’était prêt il y a déjà une heure. Je l’ai juste sorti du chronostat.

– Ha, bien sûr! J’ai de la peine à réaliser qu’un chronostat n’est pas un réfrigérateur.

Je jette un oeil méfiant sur la purée verte.

– C’est quoi, ce truc vert, là?

– Des pommes de Mars. En raison du moindre ensoleillement, les martiens ont fortement augmenté le taux de chlorophylle dans les végétaux. Les racines en sont saturées, même si cela ne sert à rien. Ca donne un goût de salade que n’ont pas les pommes de Terre.

– Quoi? Vous importez des aliments depuis la planète Mars? Mais le transport doit coûter des fortunes? En énergie j’entends, puisque vous n’avez plus d’argent.

– Non, évidemment. On les produit dans la station. Tu sais, nous devons être totalement autarciques, si nous voulons un jour aller voir comment c’est ailleurs.

Rassuré, je me sers copieusement.

– Et, si t’en manges beaucoup, ça peut aussi te donner un teint verdâtre. Au fait, t’as déjà vu un martien? On les appelle les géants verts.

Je souris.

– Ah tiens, de mon temps, les martiens, on les imaginait bien verts, mais plutôt petits, avec le nez en trompette. Si tu savais comment on imaginait l’avenir, à mon époque, tu te marrerais bien.

– Ho! Ca, c’est une bonne idée. Si on regardait un vieux film de science-fiction de ton époque?

– Hmm, pourquoi pas? Mais j’espère seulement que les copies qui auront survécu à ces cinq siècles ne soient pas trop rayées.

– Non mais, tu crois quoi? Tous les documents qui ont été sauvés de la crise des archives, dans les années 50 après l’éclosion, ont été soigneusement conservés. Et les techniques de restauration ont pas mal évolué aussi.

– Heu, désolé. Je ne voulais pas te vexer. Mais… passe-moi encore un de ces sublimes petits homards. Je pourrais m’en empiffrer jusqu’à me faire éclater la panse. Hmmm, miam!

Avec un sourire réprobateur, Nielle pousse le plat hors de ma portée.

– Non, je crois que tu en as déjà assez mangé. Je ne tiens pas à ce que tu passes la soirée à digérer. J’ai prévu autre chose pour après le film.

Je fais mine de ne pas comprendre l’allusion.

– Ha? Ben tu sais, je me suis pas mal dépensé aujourd’hui, et puis… j’ai la migraine. Alors, je crois que je me contenterais d’un tout petit calinou et ensuite dodo.

Je ne sais pas si elle me croit ou si elle joue le jeu, mais elle n’a vraiment pas l’air contente, mais alors là, pas du tout. Elle saisit la carafe d’eau et la brandit dans ma direction.

– C’est quoi encore, cette histoire de migraine? Tu passes ta journée avec une pouffiasse et après tu voudrais juste que je te chante une berceuse pour que tu puisses dormir sans faire de cauchemars. T’as intérêt à assurer, parce que sinon, ta princesse, j’te l’envoie au fond d’une crevasse avec un bon coup pied au cul, moi!

Aïe! Là, je crois qu’elle est vraiment fâchée. Elle est plutôt chatouilleuse, côté jalousie. Comment désamorcer cette situation explosive?

Je m’enfonce dans ma chaise, agite frénétiquement mes mains devant mon visage et bredouille l’air affolé:

– Non! Pas taper! Pas taper!

Nielle repose la carafe et éclate de rire.

– Tu as vraiment crû à ma petite scène de jalousie? Tu sais, ce que j’aime chez toi, en autres, c’est ta naïveté sans limites.

Puis elle se lève et vient s’asseoir sur mes genoux. Comme si elle cherchait à se faire pardonner, elle se met à m’embrasser frénétiquement dans le cou, sur la joue et sur l’oreille. Là, elle murmure tout doucement:

– De toute façon, si tu as un problème, j’ai toujours quelques doses d’une de ces substances interdites qui feraient croire à la plus molle des limaces qu’elle est une bite de cheval. Mais chuuut! Il ne faut pas en parler.

Rhooo! Quel choc! Moi qui commençais à me faire à ce monde vertueux où tout le monde suit scrupuleusement les injonctions de son mentor, voilà que je réalise qu’il y a tout un pan de la réalité qui échappe à la surveillance généralisée. Et non seulement, cette femme si belle, si tendre quand elle n’est pas en colère, cette femme me propose tout bonnement de la drogue, mais en plus son langage est parfois d’un cru.

Comment ne pas trahir mon trouble? Je ne dois pas révéler aux automates de surveillance, ni aux milliers de voyeurs qui ont les yeux braqués sur nous, que la femme que j’aime est une sorte de rebelle, qu’elle vient de me dire une chose que personne d’autre ne doit savoir. En fait, je suis vachement fier d’elle.

Je lui rends ses caresses et ses baisers. Nous restons ainsi de longues minutes avant que Nielle ne se lève et entreprenne de débarrasser la table.

– Viens! Aide-moi à ranger.

– On ne le fait pas faire par le robot?

– Il ne faut pas le déranger pour si peu. On dépose tout dans la cuisine, il se chargera du reste plus tard. Pour l’instant, laissons-le rêver.

Elle marque une brève pause.

– Et puis, je n’aime pas trop le voir traîner dans mes pattes. Je ne sais pas pourquoi, mais ça me met mal à l’aise. Je ressens sa présence comme une intrusion. Tu comprends ça, toi?

– Bien sûr. J’ai déjà souvent ressenti ça avec des gens. Je ne pensais pas que l’on pouvait éprouver la même chose avec des robots.

– Pourquoi? Qu’est-ce que ça change?

Je me contente de hausser les épaules. Comment lui faire comprendre qu’au plus profond de moi-même est encrée l’idée qu’un robot n’est qu’une machine et ne peut en aucun cas être confondu avec un humain? C’est déjà assez difficile de l’admettre pour les grands singes. Alors pour les robots…

Nous sommes à nouveau assis dans le canapé, face à l’écran mural.

– Alors, Bernard, quel film tu veux voir?

– Ben, je sais pas, moi. Quels sont les films qui sont à disposition?

C’est l’appartement qui me répond.

– Il y a exactement vingt-neuf milliards six cent trente-quatre millions sept cent dix-huit mille deux cent trente-sept documents visualisables classés en seize mille huit cent quatre catégories.

– Hé ben, ça ne va pas nous faciliter le choix.

Nielle est plus pragmatique que moi.

– Limite l’offre à la période précédent la crise des archives, dans le domaine de la Science-Fiction classique.

– Il y a exactement soixante-deux documents visualisables en six catégories.

Voilà des chiffres qui me rassurent.

– Ah! C’est tout de suite plus abordable. Quelles sont les catégories?

– Histoires de monstres biologiques, catastrophes planétaires, guerres interstellaires, contacts avec des extra-terrestres, voyages temporels et futurs tyranniques.

Nielle est choquée.

– Des guerres, des monstres, des catastrophes et des tyrans, c’est avec ça que tu penses me faire rire?

– Heu, ça reflète la mentalité de l’époque. Mais tu sais, il ne faut pas toujours se fier au titre ou au thème. Il y a de nombreuses oeuvres, films ou autres, qui dénoncent les atrocités de cette époque et qui méritent à coup sûr d’être vues ou lues.

Sur l’écran mural apparaissent les titres des films de chaque catégorie.

– Tiens, par exemple, « Mars Attacks! »: ce film est une véritable boucherie. Mais c’est surtout une critique très forte de la société américaine, déguisée en pastiche des vieux films et BDs du genre. C’est probablement le film de science-fiction le plus hilarant que j’ai vu. Ha! La manière dont ce débile de président des Etats-Unis se fait buter par le martien, c’est dément.

Nielle me fixe d’un air sévère.

– Heu, bon d’accord. Pas « Mars Attacks! », alors. Qu’est-ce qu’il y a d’autre? La « Guerre des étoiles »? Il y a les épisodes I, II, IV, VI et IX. Je n’ai vu que les épisodes IV, V et VI. Le I était sur le point de sortir quand je suis parti.

– Qu’est-ce que tu me racontes? Comment l’épisode IV peut-il dater d’avant le I?

– Ben, c’est comme ça. Georges Lucas voulait sans doute indiquer que l’action débute au beau milieu d’une épopée commencée bien avant. Il a sans doute eu marre qu’on lui pose sans arrêt la question: Mais avant, il s’est passé quoi?

– Décidément, ton époque me paraîtra toujours bizarre.

– Au fait, tu sais, Leïa, son surnom de « Princesse », ça lui vient de ces films.

– Si tu me parles encore une fois de cette…

– OK, OK! Pas de « Guerre des étoiles » non plus. Je pense qu’il est inutile que je te propose la « Guerre des mondes », ni « Independance Day », ni même « Le cinquième élément ». Bien que ce dernier, je l’ai vachement bien aimé. Haaa… elle est vraiment… parfaite. Enfin, presque aussi parfaite que toi.

Le regard que Nielle me lance est plein de perplexité.

– Enfin, passons. Oublions les histoires de monstres. Je rangerais ça plutôt dans les films d’horreur. Mais une grosse météorite qui menace de faire exploser la Terre, ça te branche? Non? Même si c’est Bruce Willis qui sauve la planète? Ha bon?

Je parcours la liste des films.

– Ha? Celui-là, je ne le connais pas. « 2010, l’année de la Comète! », c’est quoi ça?

Nielle hausse les épaules.

– Sais pas.

L’appartement répond:

– Ce film relate de manière romanesque un fait historique: la chute d’une comète géante sur la Lune en quarante après l’éclosion.

– Wow! J’imagine d’ici le feu d’artifice. On regarde ça? Les effets spéciaux doivent être du tonnerre!

Mon amour n’est guère enthousiaste.

– Je ne vois pas ce qui peut te plaire dans toutes ces horreurs. C’est ça que tu pensais que je trouverais marrant? Non, moi ce que je voudrais, c’est une histoire plus positive, plus humaine, quoi.

– Mouais! Tu as raison. La plupart des films de mon époque montrent l’avenir sous un jour plutôt pessimiste, même si parfois, ils laissent poindre un soupçon d’espoir. Ah, là il y en a un de vraiment rigolo. Et pas violent pour un sou. « Le dormeur » de et avec Woody Allen. C’est l’histoire d’un type atteint d’un cancer qui se fait congeler jusqu’à ce que l’on trouve un remède à sa maladie. Il est réveillé quelques siècles plus tard par des rebelles qui veulent l’utiliser pour lutter contre un dictateur.

– Un peu comme toi, quoi!

– Si tu veux. Mais lui, tu vois, c’est pas vraiment le gars le plus futé qu’on puisse trouver et comme il ne comprend rien aux usages de l’époque, il met tout le temps les pieds dans le plat. Il déclenche tout un tas de catastrophes et c’est plutôt malgré lui s’il parvient finalement à renverser le dictateur.

Elle éclate de rire.

– Ah oui, je vois. En fait, la seule différence avec toi, c’est que nous n’avons pas de dictateur.

– Heu… tu crois? A ce point?

– Mais bien sûr que non. Enfin, pas tout à fait. Et puis, si tu n’avais pas été comme ça, je ne sais pas si je serais tombée amoureuse.

Je ne sais que répondre. Mes yeux se perdent dans les siens. Plusieurs minutes s’écoulent ainsi. Puis elle interrompt l’intense flux de communication optique.

– Tu as regardé toute la liste? Il n’y a vraiment pas un seul film qui vaille la peine?

– Non, non. Il reste les voyages temporels et les contacts extra-terrestres. Pour les voyages temporels, bof, je ne vois rien qui te plairait. C’est tout du genre: les gentils du vingtième siècle vont foutre une raclée aux méchants des autres époques.

– Comme tu dis: bof!

– Ah, par contre pour les rencontres avec des extra-terrestres, il y en a trois qui sont vraiment très bons: « E.T. », « Rencontres du troisième type » et « Contact ».

– Qu’est-ce qu’elles ont de particulier les « Rencontres du troisième type »?

– Un des grands mythes du vingtième siècle, c’était celui des ovnis. Des gens voyaient dans le ciel des phénomènes naturels ou non qu’ils ne comprenaient pas. Les rares scientifiques qui ont eu le courage de se pencher sur ce problème ont établi une classification des observations. La plupart des événements étaient parfaitement explicables, mais il y avait un résidu de cas troublants. Les rencontres du troisième type en font partie. Il s’agit de cas où les témoins affirment avoir observé des créatures inconnues auprès d’engins volants bizarres. Certains prétendent même avoir été emmenés dans l’espace à bord de ces engins.

– Ah, ben c’est juste ce qu’on appelle des trolls ou des lutins.

– Non, pas du tout. Les trolls, les lutins et les fées sont issus de légendes bien plus anciennes. Mais tu as sans doute raison, nos petits hommes verts se seront confondus dans le folklore éternel. Enfin bref, ce film relate une suite d’événements mystérieux qui aboutira à la première rencontre officielle entre les gens de la Terre et ceux venus d’ailleurs. Il est intéressant parce qu’il décrit très bien les divers aspects du phénomène OVNI.

– Et « Iti », ça veut dire quoi?

– « E.T. », les initiales d’Extra-Terrestre. C’est l’histoire d’un botaniste venu d’une lointaine planète qui a été abandonné sur Terre par ses collègues qui ont dû fuir en vitesse parce que l’armée était sur le point de les trouver. Alors, en attendant qu’on vienne le rechercher, il se cache dans la chambre d’un enfant qui le protégera contre les militaires. C’est une sorte de conte moderne. Enfin, quand je dis moderne, je veux dire de mon époque, bien sûr.

– C’est pas un peu simpliste comme histoire, non?

– Ben, disons qu’il a été ciblé pour un public très jeune, mais il a eu aussi beaucoup de succès auprès des adultes. Mais si tu veux un film qui ait du sens, alors c’est « Contact » qui te conviendra.

– Drôle de titre. Ca parle de quoi?

– Du SETI! Tu sais, on en avait parlé au restaurant, le premier soir, avec les autres. « Contact » raconte la réception d’un message venu des étoiles. Ce message contient les plans d’une machine qui devrait permettre de rendre visite à ceux qui ont envoyé le message. Les questions de l’existence de Dieu et du pourquoi de l’Univers sont omniprésentes. Quoique l’aspect philosophique n’est pas aussi développé dans le film que dans le roman.

– Alors, je suis d’accord pour « Contact ». Viens! Allons dans la salle de projection!

– Ah? Tu as une salle de projection privée?

– Ben oui. Sur la terrasse, si tu préfères. Prends ce fauteuil!

La baie vitrée a fait place à un écran. L’appartement a disparu, remplacé par la pinède. Nos fauteuils sont posés sur un chemin qui mène à la calanque. En accéléré, le Soleil plonge dans la mer. En quelques secondes, l’obscurité est totale. Il n’y a plus que des étoiles. La Terre apparaît. C’est la nuit sur le continent nord-américain. Je me croirais à nouveau sur le plongeoir. De la musique s’élève doucement: un morceau typique des années nonante. La Terre se met à reculer, entraînant la Lune dans son mouvement. La planète n’est bientôt plus qu’un pale point bleu dans l’immensité du ciel. Mars passe tout près. Je pourrais la toucher. Nous croisons quelques astéroïdes. Puis c’est au tour de la géante Jupiter, de Saturne et ses anneaux, enfin Uranus et Neptune. Le système solaire se limite à quelques perles autour d’une grosse étoile jaune qui s’efface progressivement dans l’infini. La musique change aussi, représentative des années quatre-vingt, septante, soixante et précédentes. Elle fait place à une voix forte aux consonances germaniques, puis plus rien, le silence. L’univers ne cesse de reculer. La galaxie couvre un instant tout le champ de vision, pour n’être plus ensuite… qu’un reflet dans un oeil d’enfant.

Je craignais que le film n’ait subi les ravages du temps. Nielle m’avait parlé d’une restauration, mais je n’en imaginais pas l’ampleur. Il s’agit bien du film que j’avais vu il n’y a que quelques mois, avec les mêmes acteurs, les mêmes décors et exactement le même découpage des scènes. Pourtant, l’image ne se limite plus à la seule fenêtre rectangulaire qu’était capable de capter la caméra originale. L’image est en relief intégral et nous nous trouvons immergés au sein de la scène. En se retournant, on peut voit ce qu’observent les personnages. Tout un environnement olfactif a été rajouté qui ne faisait évidemment pas partie de l’oeuvre originale.

– Mais c’est extraordinaire! Je ne m’attendais pas à cela. J’ai l’impression que je pourrais toucher les objets, les gens.

– Pas dans les oeuvres de fictions au déroulement prédéfini. Les spectacles interactifs offrent cette possibilité, bien sûr. Les personnes seules, en mal d’affection, en sont très friandes.

– Ooh! Tu as déjà essayé?

– Ca m’est arrivé. Mais c’est bien mieux avec toi. Maintenant, Chut! J’ai envie de vivre ce film. Je ne l’ai jamais vu, moi.

La projection terminée, nous allons nous coucher. Nielle a bien fait de m’empêcher de me goinfrer de ces délicieux petits homards. Au beau milieu de nos galipettes, Nielle m’interroge:

– Il y a des trucs que je n’ai pas très bien compris dans le film. Pourquoi le professeur Drumlin prétend-il que c’est lui qui est à l’origine de ces découvertes, alors qu’il est évident qu’il s’est toujours opposé à ce genre de recherches?

– Pour servir ses ambitions. Il profite de l’ignorance des gens pour les manipuler. Il augmente ainsi son prestige et en use pour se rapprocher des postes qu’il convoite.

– Mais c’est absurde. Quelqu’un va bien finir par dénoncer l’imposture.

– C’est sans grande importance pour lui. N’oublie pas qu’à l’époque, il n’y avait pas ce système de surveillance omniprésent. Il ne restait pratiquement aucune trace des événements réels. Les rares documents étaient susceptibles de falsification. On devait se faire une opinion basée sur la confiance que l’on accordait aux différentes versions. Et comme la confiance est proportionnelle au prestige, la vérité était souvent différente de la réalité.

– Je ne comprends pas comment vous pouviez vivre dans de telles conditions.

– Ben, c’est comme si tu me demandais comment faisaient les Romains pour vivre sans électricité. On n’avait pas le choix. La technologie faisait défaut.

– Hmm. Mais alors, si l’information était déjà si difficile à obtenir, pourquoi certaines personnes, ce Hadden ou le gouvernement, s’obstinaient à empêcher sa diffusion?

– Le secret est un puissant outil de pouvoir. Imagine que je détienne une information importante pour toi et que tu ne puisses l’obtenir sans mon accord. Ou pire encore, un détail de ton existence que tu préférerais qu’il ne s’ébruite pas.

Je baisse le ton pour qu’elle seule puisse m’entendre.

– Par exemple, ce que tu m’as murmuré à l’oreille lors du repas.

Elle se raidit. Une expression de terreur se dessine sur son visage.

– Je vois que tu as parfaitement compris l’idée. Mais rassure-toi, ce secret est sans valeur pour moi. J’aurais plus à y perdre qu’à y gagner si je le trahissais.

– De toute façon, ce n’est pas un vrai secret. Sur le Réseau, tu peux trouver l’inventaire complet de ma pharmacie et le produit en question en fait partie.

– Tu me disais qu’il est interdit.

– Il l’est, du moins pour cet usage. A fortes doses, il peut entraîner des problèmes cardiaques. Mais c’est l’une des conséquences du système de veillance: tant qu’il n’y a pas d’abus et que personne n’est lésé, toutes les transgressions sont tolérées.

– Ton époque est aussi bizarre que la mienne.

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