Un local sombre. Une veilleuse au dessus de la porte jette une faible lueur sur le bric-à-brac qui y est entreposé. Tout est calme. Soudain, la porte glisse sur le côté. Au-delà, un couloir vivement éclairé. Sur le seuil, la silhouette d’un homme portant un seau et un balai. Il s’avance, dépose ses instruments dans un coin et saisit un sac à dos.
– Et encore une journée de merde qui se termine. Quel boulot de chien! Si seulement on avait des robots comme dans le reste du système solaire, je ne serais pas obligé de me taper le nettoyage quotidien de toutes ces cages. Enfin, le monde est ce qu’il est. On peut rien y changer.
L’homme s’apprête à ressortir lorsque son regard est attiré par un objet déposé sur une étagère.
– C’est quoi c’te boite? Elle y était pas hier soir.
Il s’en saisit, la dépose sur un établi et entreprend d’en examiner le contenu. Il y a là des colliers, des broches, des bracelets, ainsi que des jouets, dont un certain nombre de bébés singes en peluche.
L’homme se redresse, pensif.
– J’ai déjà vu ces trucs-là. Attends! Les singes. C’est bien ça. Les singes portaient ces choses quand ils ont été amenés ici. Et depuis l’autre jour, ils avaient disparu. Je croyais qu’ils les avaient cachés pour protéger leurs seuls biens. En fait, on les leur aura confisqués. Je suis sûr que c’est encore un coup de cette ordure de gardien-chef. Je sais ce qu’il me reste à faire.
L?homme remet les bijoux dans la boîte et la glisse dans son sac. Il jette de brefs regards alentour. Tout va bien, personne ne l’a surpris en train de commettre son larcin. Heureusement que, sur la Lune, il subsiste encore un certain espace de liberté. Ailleurs, il aurait déjà été dénoncé.
Comme à son habitude, une fois son travail terminé, il effectue une dernière tournée pour vérifier que tout va bien dans les cages. Mais aujourd’hui, au lieu de juste passer silencieusement, il s’avance vers une cage et frappe doucement sur un barreau. Un orang-outang qui dormait par là ouvre un oeil et le gratifie d’une grimace menaçante.
L’homme extrait un bracelet de la boîte, l’agite et fait signe au primate d’approcher. Le singe s’approche lentement et se saisit de l’objet. Il l’observe attentivement puis se dirige vers l’autre extrémité de la cage. Il réveille une femelle gorille et lui tend le bijou. Celle-ci pousse un cri de joie, enfile son poignet dans le bracelet et part s’isoler dans un coin. Elle tient son bras devant son visage et pousse de petits cris. On dirait qu’elle lui parle.
L’orang-outang, pendant ce temps, s’en est retourné vers l’homme. Il passe son bras démesurément long à travers les barreaux.
– Tu veux les autres, c’est ça, hein? Ne t’inquiète pas, je vais te les donner.
Les occupants de la cage sont maintenant tous réveillés. Ils se massent contre la grille et quémandent leur bien.
L’homme est fasciné. Ceux, en qui il ne voyait jusqu’alors que des bêtes sauvages, font preuve d’une extraordinaire discipline. A chaque nouvel objet exhibé, toutes les mains se retirent, sauf une seule. Dès qu’il a pris possession de son trésor, l’anthropoïde se retire et s’engage dans un étrange dialogue avec un interlocuteur invisible.
Il ne reste plus qu’un jeune chimp accroché aux barreaux. Il tend une main impatiente en direction de la peluche que l’homme vient d’extraire de son sac. Au moment de saisir le jouet, le singe pousse un petit cri. A cet instant, l’homme croit entendre la poupée parler:
– Merci, Père Noël!
Sans doute n’était-ce là qu’un effet de son imagination. Il est trop tard pour vérifier. Le gamin s’est enfui. L’homme ramasse son sac et s’en va. Finalement, ce n’était pas une si mauvaise journée.