Voilà bien huit ans que le message avait été capté pour la première fois. Ce n’était pas le premier signal intelligent que les habitants du système solaire recevaient du fin fond de l’espace. D’habitude, les messages étaient codés simplement, de façon à pouvoir être compris facilement. Chaque message avait reçu une réponse consciencieusement élaborée.
Ce message là, pourtant, était très différent des précédents. Non seulement il avait résisté à toute tentative de déchiffrage, mais de plus il était émis par une source en mouvement. Tout cela n’aurait suscité un quelconque intérêt dans l’opinion publique si la source du message ne fonçait droit sur le système solaire et l’atteindrait dans moins d’un siècle.
L’annonce de cet événement à venir fit l’effet d’une chute de comète. Partout dans le système solaire des voyants et des prophètes annoncèrent des malheurs sans fin pour l’humanité. D’autres, au contraire, affirmèrent, que l’espèce humaine avait enfin atteint un niveau suffisant de sagesse et qu’elle allait être accueillie dans le royaume des cieux.
Mais comme aucun progrès n’était fait dans le décodage du message, l’affaire tomba rapidement dans l’oubli. Chacun reprit ses activités courantes : les martiens creusaient des canaux afin d’irriguer leurs déserts, les luniens s’efforçaient de rendre respirable leur jeune atmosphère. Les terriens pour leur part, finissaient de reboiser les zones tropicales et tentaient de recréer par génie génétique quelques-unes des nombreuses espèces animales et végétales disparues dans le siècle qui précéda l’Éclosion.
N’guyen Smith est un habitant des stations, un zérogé. C’est un modeste membre d’un noeud d’entretien opérant sur la station « Einstein 24 », actuellement en orbite autour de la planète Mars. Sa fonction consiste à débarrasser les conduits d’aération des rats qui y pullulent. Il s’agit d’une tâche harassante que bien peu d’individus acceptent.
N’guyen n’avait pas vraiment choisi cette activité. Son caractère introverti ne lui a pas offert l’opportunité de se faire accepter dans l’un des noeuds les plus prestigieux. Il s’est finalement résigné à apporter sa contribution à la société en se joignant à ce noeud d’entretien. En contrepartie de cette tâche ingrate, il occupe un appartement confortable et spacieux de 200 mètres cubes.
N’guyen ne s’intéresse guère au monde extérieur et encore moins aux messages envoyés par delà les abîmes du ciel profond. Non, ce qui le passionne, ce sont les ordinateurs personnels archaïques. Sa dernière acquisition, une petite merveille, est un Amiga 6000, fabriqué en l’an 1998 de l’ancien calendrier occidental (an 28 après l’Éclosion).
Une petite merveille, certes, qui lui a demandé un exploit en relations humaines qu’il ne se sent pas près de pouvoir renouveler. Ainsi, lorsque se présente l’occasion de mettre la main sur un disque optique original de Microsoft Linux 2018, N’guyen se met à la recherche du moyen de convaincre son dépositaire actuel de le lui transmettre. Comment pourrait-il acquérir suffisamment de prestige pour qu’on le juge digne de posséder une telle rareté ? Mais une station spatiale, même peuplée de quatre millions d’habitants n’offre pas beaucoup d’opportunités pour un dératiseur, fût-il de première classe.
Alors que la planète rouge vient de disparaître dans un coin de l’unique fenêtre, une voix féminine à l’accent ancien annonce :
– Je crois avoir trouvé quelque chose qui pourrait vous intéresser, monsieur !
N’guyen se met en face de l’écran de l’Amiga 6000. Sur celui-ci apparaît l’image d’une jeune femme très légèrement vêtue (une Terrienne d’après les mensurations). Elle agite un petit morceau de papier. N’guyen demande :
– De quoi s’agit-il cette fois ? Si c’est encore une offre pour une boule de remplacement pour ta souris, n’y compte pas. Je ne suis pas crédible !
– Non, monsieur, pas aujourd’hui. Au contraire, cela pourrait vous rapporter quelque prestige. Avez-vous déjà entendu parler du « message du centaure » ? L’institut des cultures extra-solaires annonce qu’elle offre une forte récompense à toute personne qui permettrait d’avancer dans la compréhension du message.
– Pff ! Personne n’y a jamais rien compris et personne n’y comprendra jamais rien. T’as rien d’autre à me proposer ?
– Monsieur, je me permets d’insister, mais vous vous êtes intéressé récemment à certains programmes de cryptographie, n’est-ce pas ?
– Ouais, bien sûr. Mais avec des algorithmes aussi vieux que toi. Et les spécialistes luniens actuels de la question sont bien mieux outillés. Alors, tu vois, c’est sans espoir.
– Mais Monsieur, vous pourriez tout de même essayer. J’aimerais tant une nouvelle boule pour ma souris. La jeune femme sur l’écran prononce cette dernière phrase à genoux et les mains jointes en signe d’imploration.
– D’accord, je veux bien essayer. Mais c’est vraiment pour te faire plaisir. Va chercher le message !
L’image répond d’un air malicieux :
– Mais c’est déjà fait, Monsieur !
Pour certains travaux, N’guyen préfère utiliser une interface utilisateur alphanumérique. L’absence de communication avec des acteurs virtuels lui permet de maintenir une meilleure concentration.
Les jours suivants, N’guyen les passe à explorer les bases de données de la station. Il consulte tous les documents mentionnant le message à la recherche du plus petit indice qui lui permettrait de déceler la moindre trace de signification dans la longue suite de zéros et de uns en provenance de la constellation du Centaure. Sans aucun succès.
Il est sur le point de tout laisser tomber (encore une expression sans signification dans un milieu en apesanteur), lorsque soudain, une grosse masse poilue déboule de l’autre extrémité de la pièce, précédée par une petite sphère de caoutchouc. La boule de souris (eh oui, il s’agit bien de celle qui cause tant de soucis à la charmante conscience de synthèse de l’Amiga 6000) frôle la joue de N’guyen et va se perdre derrière l’écran.
L’adorable chatte noire qui la poursuit ne parvient pas à éviter son maître et s’en va rebondir contre le clavier. Sa patte avant gauche heurte successivement la touche marquée « F1 » et celle marquée « F2 ». Le museau de l’animal percute ensuite les touches marquées « 8 » et « 9 ».
Une fois sa surprise passée, N’guyen s’assure que sa chatte n’a pas souffert de l’incident et retourne à sa tâche, bien décidé à ne pas perdre son temps plus longtemps à assouvir les caprices d’une illusion de silicium. À peine pose-t-il son regard sur l’écran qu’il se fige de stupeur. Après de longues secondes, il émet un long sifflement, suivi bientôt d’un puissant cri de victoire accompagné d’une double pirouette arrière. L’écran affiche le texte suivant :
>tar -xzf *
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Vaisseau interstellaire Santa-Maria, Rapport de mission, page 89
18 août 2097 03h 32' 45'' Référentiel temporel du vaisseau.
nètes telluriques malheureusement inhabitables (climat de type martien). Le système comporte également trois planètes géantes entourées de nombreux satellites. Ces derniers sont essentiellement constitués de glace. Ils
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