À son réveil, Morgane Leganec, par un simple effet de sa volonté, rend la fenêtre transparente.
– Pratique cet implant crânien, se dit-elle. Sa récente élection au Conseil Lunaire lui avait donné droit à cet appareil indispensable à l’accomplissement de ses nouvelles fonctions.
Elle se lève et jette un oeil par la fenêtre : ce matin, le soleil est encore haut dans le ciel. Depuis les nombreuses générations que l’homme s’est établi sur la Lune, il n’a pu varier sensiblement son rythme d’activité hérité de la Terre. Bien qu’actuellement, le jour lunaire dure environ 62 heures terrestres, ses habitants ont adopté le cycle de 100 kilosecondes en vigueur dans tous les mondes artificiels, soit environ 28 heures terrestres.
Elle aperçoit au loin, flottant entre les falaises du cratère et de petits cumulus, un groupe de parapentistes. Ce sport, pratiqué depuis des siècles sur la Terre et depuis plus récemment sur Mars, n’est apparu sur la Lune que depuis une trentaine d’années. Auparavant, la densité de l’atmosphère lunaire était encore insuffisante. À cette pensée, Morgane scrute le ciel à la recherche de la prochaine comète.
– Elle doit être encore trop éloignée pour être visible de jour, constate-t-elle. Il est vrai qu’elle ne sera réceptionnée que dans huit jours.
En se retournant vers le lit, elle regarde l’homme avec qui elle partage ses nuits. C’est un martien de taille moyenne, environ deux mètres vingt. Sa peau avait un léger teint verdâtre. La jeune femme esquisse un sourire en pensant aux vieilles légendes de la Terre d’avant l’Éclosion. Ces légendes peuplaient Mars de petits bonshommes verts au nez en trompette. Son Martien à elle n’a pas le nez en trompette, mais il parait bien petit face à ses trois mètres quinze.
Laissant son compagnon à ses rêves de Martien, Morgane se dirige vers la salle de bain.
– La vie sur la Lune a bien changé, se dit-elle. Grand-mère Leganec devait se contenter de quinze litres d’eau pour toute sa famille, et moi je ne sais même pas exactement combien d’eau sera consommée pour cette douche. Et les changements ne sont pas encore terminés : mes petits enfants pourront jouer à l’air libre sans appareil respiratoire.
Un soudain signal sonore interrompt sa rêverie. Par réflexe, son regard balaye la pièce à la recherche du poste de téléprésence. Elle réalise finalement qu’elle n’en a pas besoin : son implant crânien est également équipé de cette fonction. Morgane sort de la salle de bain, s’installe sur un siège, se concentre un instant et… se retrouve en pleine nuit, dans un parc éclairé seulement par un fin croissant de Terre.
En face d’elle se tient, à côté d’une borne publique de téléprésence, un homme coiffé de son appareil respiratoire.
– Madame, commence-t-il, excuse-moi de te déranger. Je sais combien ton temps est précieux ! Je suis le professeur Thorn, de l’université de Clavius.
– Enchantée, Professeur, répond-elle. Si mes souvenirs sont exacts, tu travailles actuellement sur le message, ce signal radio en provenance des étoiles et qui ne semble pas d’origine naturelle ?
– C’est cela, madame, et nous venons juste de faire une découverte étonnante.
– Mais pourquoi t’adresses-tu à moi ? C’est mon collègue M’Bala du ministère de la Recherche qui est responsable de ce dossier.
– C’est que… je crois savoir que tu as soutenu une thèse de doctorat portant sur l’archéologie celtique. Est-ce exact ?
– Oui ! Mais je ne vois pas le rapport.
– Il y en a un. Mais je préférerais t’en parler en ta présence physique. Tu sais aussi bien que moi que la confidentialité des communications n’est pas toujours garantie.
– Tu m’intrigues, Professeur, s’exclame Morgane. Je serai à l’Université dans une demi-heure. Ah ! S’il te plaît, prépare-moi du café et des croissants. Je viens de me lever.
Sans attendre, elle interrompt la communication et se retrouve instantanément chez elle, dans son décor familier. D’une simple pensée, Morgane annule ses rendez-vous de la journée, avertit son secrétaire de sa destination et réserve une place dans le prochain métro pour Clavius.
Quelques minutes plus tard, coiffée de son appareil respiratoire, elle franchit le sas de sa maison et se dirige vers le parking ou l’attend son véhicule personnel. Elle s’installe aux commandes en maugréant :
– Espérons que le système de guidage de cette bagnole pourrie ne va pas encore tomber en panne comme la semaine dernière.
Sa fonction de membre du Conseil Lunaire lui vaut certains privilèges, mais paradoxalement pas dans le domaine des transports. Elle devrait encore attendre avant d’obtenir l’autorisation d’acquérir un nouveau véhicule.
La chance étant avec elle, Morgane atteint la gare sans encombre. Au-dessus de l’entrée est inscrit en lettres blanches sur fond rouge : SWISS METRO Ltd. Comme chaque fois que Morgane emprunte le métro, elle s’interroge :
– D’où peut bien provenir le nom de cette compagnie ? Il faudra que je fasse des recherches à ce sujet.
Confortablement installée sur son siège, Morgane songe à l’objet de son voyage.
– Quel rapport peut-il y avoir entre un signal radio semblant provenir d’une étoile située à cinq mille années lumières du Soleil et les alignements mégalithiques du Morbihan, sur la Terre. Serait-ce lié à cette anomalie magnétique centrée sur le cromlech du Menec à Carnac ? Non, ce n’est pas possible, elle est apparue il y a seulement quelques années…, juste quelques semaines avant que le message ait été détecté pour la première fois.