Au lendemain de l’Éclosion, plusieurs aqueducs ont été creusés dans le sous-sol de La Fournaise pour transférer une partie de l’eau surabondante de l’est vers l’ouest aride. Prévue initialement pour intensifier la culture de la canne à sucre, la bascule des eaux, comme on l’appelait à l’époque, a rapidement servi à couvrir la consommation domestique, en particulier l’alimentation des piscines publiques et privées. L’urbanisation galopante de l’ile avait peu à peu rogné sur les terres agricoles, réduisant celles-ci à quelques parcelles que l’on conservait pour montrer aux enfants comment on fabriquait cette poudre blanche, si bonne sur les desserts, si vorace sur les dents.
Lorsque la folie restitutionniste, à l’instar du reste de la planète, s’est abattue sur l’ile, la disponibilité de toute cette eau ne semblait plus nécessaire. On s’est posé la question de savoir ce que l’on allait faire de ces canalisations désormais obsolètes. Fallait-il les abandonner à la Restitution, ou tout faire pour les maintenir en état de marche afin de les exploiter à nouveau une fois que la situation se serait normalisée ? L’histoire retiendra la création du noeud consacré à la préservation de cet outil comme une étape majeure dans la transformation de la société capitaliste réunionnaise vers le modèle acratique qui anime actuellement La Fournaise.
Une fois les restituteurs rentrés dans les rangs, on célébra la survie du réseau de la bascule des eaux. Mais la question de son utilité était toujours d’actualité. Les opinions étaient variées et parfois incompatibles, mais tout le monde estimait que c’était bien comme ça. Plus il y a de propositions, plus grande est la chance qu’en émergent quelques-unes qui soient applicables, peut-être même simultanément. On pouvait les classer en trois grandes catégories :
1) Ne pas utiliser cette eau et laisser la nature reprendre ses droits sans intervention humaine.
2) S’inspirer des techniques de redynamisation des écosystèmes telles que celle développée par les Trois Salades et utiliser toute cette eau pour permettre l’établissement d’une couverture végétale plus florissante que n’en aurait été capable la nature seule.
3) Mettre ces terres en valeur pour produire la nourriture dont avait besoin la population, certes décroissante, mais encore fort nombreuse de l’ile.
Toutes ces options et leurs nombreuses variantes ont été estimées raisonnables, légitimes et aussi applicables. Et comme, ma foi, il y avait assez de place et d’eau pour les appliquer toutes, les bonnes volontés se sont associées et mises à l’oeuvre pour la satisfaction des besoins communs et des motivations individuelles.
Il y a même un noeud qui s’est constitué pour mettre en place un dispositif qui assurerait que, si un jour les humains abandonnaient l’ile, l’écoulement de l’eau se poursuivrait automatiquement, mais avec un débit en diminution progressive, pour laisser aux écosystèmes le temps de retourner petit à petit vers un équilibre propre au climat aride naturel.