Intermède

– Bon, les enfants ! Écoutez-moi ! C’est dans l’usine que nous visitons aujourd’hui qu’est fabriquée une bonne partie de la nourriture destinée à la population de La Fournaise. Alors, pour une fois, essayez de ne pas toucher à tout, particulièrement aux aliments en cours d’élaboration ! …
Parmi la vingtaine d’enfants massés sur le quai du métro, un petit groupe complote à voix basse, un sourire malicieux sur les lèvres.
– …N’oubliez pas qu’ils pourraient se retrouver dans vos bols ou vos assiettes !
À cette pensée, les conjurés se calment immédiatement, échangeant des regards inquiets.
– Maintenant, rejoignez les noeuds que vous avez formés hier ! Oui, oui, c’est valable pour toi aussi, Basile  ! Je vous rappelle qu’outre le secteur que vous avez choisi d’étudier en détail, il vous sera possible de visiter le reste de l’usine si vous le désirez. Un guide va se joindre à chacun des noeuds. Il est inutile de vous demander d’être aussi respectueux avec lui que vous attendiez qu’il le soit avec vous. 

Le robot servant de guide à quatre enfants (trois filles et un garçon) les fait pénétrer dans une vaste caverne circulaire d’une centaine de mètres de diamètre et autant de haut. Ils prennent place sur une galerie qui en fait le tour à mi-hauteur. Tout le volume de la caverne est occupé par des grandes structures faites d’un matériau transparent supportant des plateformes superposées écartées d’environ cinq mètres. Toutes ces plateformes sont couvertes d’une généreuse couche d’humus dans laquelle poussent ici des céréales, là des légumes, ailleurs encore des arbustes fruitiers.
– Elle vient d’où la lumière qui brille sur les plantes ?
– Tu vois ces gros faisceaux de tuyaux qui descendent de la voute et qui se divisent pour aller sur les plateformes ?
– Ouiii ! Ils sont très beaux ! Comme les colliers et les bracelets qu’on porte lors de la fête des Lumières.
– Tu as raison, c’est la même matière. Ces tuyaux guident la lumière pour nourrir les plantes.
– Oui ! Mais la lumière, elle vient d’où ? Qui c’est qui la fabrique ?
– Elle vient en partie du soleil et est prélevée à la surface. Le reste est produit par des lampes alimentées en énergie, soit par l’antenne de Sinpole, soit par les piles Emmel disposées tout autour du Volcan, soit encore par une partie de l’énergie émise par les chronostats.
– Je croyais que les légumes étaient cultivés à la surface, dans des champs sur la côte ouest.
– Il y a certes à l’extérieur quelques cultures sur des surfaces autrefois arides qui sont irriguées avec l’eau amenée de Salazille. Mais nous sommes encore bien trop nombreux à vivre sous La Fournaise pour que les cultures à l’air libre puissent tous nous nourrir.
– Mais pourquoi est-ce qu’on ne coupe pas la forêt pour faire pousser de la nourriture ? C’est comme ça qu’on faisait dans le temps, non ?
– Oui, c’est bien comme cela que l’on faisait dans le temps. Mais tu as aussi dû entendre parler des conséquences, n’est-ce pas ? Souviens-toi que nous ne sommes pas propriétaires de la planète, nous n’en sommes que colocataires.
– Ça veut dire quoi propriétaire ?

D’autres enfants pénètrent dans une grande salle dans laquelle sont alignées d’énormes boites hautes de deux mètres et longues de cinq, reliées entre elles par des sortes de gros boudins souples. Les boites comportent des fenêtres qui permettent d’observer ce qui se passe à l’intérieur.
– Voilà ! C’est ici que sont fabriquées les cuisses de poulet que vous mangez parfois. Qui aime les cuisses de poulet ?
Les marmailles s’écrient en coeur :
– Moi ! Moi !
Le guide reprend la parole.
– Si vous regardez dans le premier incubateur de la chaine, vous verrez se former les os. Une fois qu’ils ont la taille voulue, ils sont envoyés dans le second incubateur où l’on fait croitre les muscles et les tendons.
– Et la peau, on la fait comment ? C’est tellement bon, la peau !
– Dans la machine suivante. Regardez bien cette étape.
Le guide montre, à travers la vitre, les cuisses de volaille accrochées à la queue leu leu, avançant lentement dans la machine, le muscle à nu à l’entrée, se couvrant progressivement d’un derme et d’un épiderme duquel sortent des ébauches de plumes.
– Pourquoi il y a des plumes ? On les mange pas les plumes !
– La présence des plumes est indispensable pour donner à la peau cet aspect de… chair de poule. Les plumes seront ensuite utilisées, entre autres, pour rembourrer des oreillers.
– Mais pourquoi on fait juste les cuisses des poulets ? Pourquoi on n’en fait pas des entiers ?
– Eh bien ! Si on fabriquait des poulets entiers, il se formerait également un cerveau qui en ferait un vrai animal. Il faudrait alors le tuer si on voulait le manger.
– Ah ben, c’est vrai ! Je ne voudrais pas manger un poulet que l’on aurait tué. Pour sûr !
Le guide robot les emmène vers une autre chaine de production.
– Voilà ! Ici, vous pouvez voir comment on fait le fromage et les gelées bactériennes.

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