Nous voici repartis sur les sentiers de Maïfatte. Il s’agit très probablement de la dernière journée que nous passerons à crapahuter parmi les reliefs de l’ile. La météo de cette époque n’est pas beaucoup plus précise qu’à la fin du 20e siècle. L’accalmie de deux jours qu’on nous promettait ne durera finalement pas plus de 24 heures. Le cyclone semble pressé de venir passer ses nerfs sur les flancs de La Fournaise.
Le plateau de Marala est accroché sur le flanc nord de la mince paroi rocheuse qui sépare les cirques de Maïfatte et de Silahaut. Il nous faut monter environ 450 mètres pour atteindre le col de Taillebite avant de redescendre sur les Trois Salades. Pour l’instant, le sentier s’approche en pente douce de l’extrémité sud de Maïfatte. Nous dépassons un groupe composé d’une quinzaine d’enfants accompagnés par quatre adultes et deux bonobos. Les enfants chantent une comptine :
– ♫ Ainsi, fond fond fond, la petite banquise arctique. Ainsi, fondent fondent fondent, trois p’tits glaçons et puis s’en vont. ♫
En passant au niveau des singes, je pense soudain à Maïté, la bonobo de Rama, partie avec Nielle vers les étoiles. Je constate avec un certain soulagement que je ne ressens plus aucune douleur à cette évocation. Les simiens me font également penser à Bounda.
– Vadina, je n’ai pas encore vu Bounda ce matin. Tu crois qu’il va nous rejoindre ?
– Non !
– Ha bon ? Pourquoi ? Il lui est arrivé quelque chose ? Tu sais quelque chose que j’ignore ?
– Il va bien !
Elle m’a dit ça d’un ton définitif qui exclut d’avance toute question supplémentaire. Un ton qui pourrait également signifier que vu mon indifférence passée, toute inquiétude présente est déplacée. Un ton qui pourrait signifier toutes ces choses banales pour le commun des mortels et qui me sont pourtant totalement étrangères. Je n’insiste pas.
Le pied de la paroi du cirque est encore plongé dans l’ombre. L’air frais nous picore le visage et nous accompagnera jusqu’au col. Mais bientôt, il ne parviendra plus à absorber l’énergie dissipée par notre effort.
Lentement, au fur et à mesure de notre ascension, la perspective se modifie, dévoilant progressivement les charmes de Maïfatte, ses ravines, ses pitons et ses huilets, ses forêts et ses pentes dénudées, éveillant en nous un émerveillement croissant, comme le ferait une effeuilleuse de cabaret.
En plein milieu de cette beauté chaotique se dressent les dômes d’un huilet que je crois identifier comme étant Lanouelle. Nous aurions dû y passer la nuit prochaine si notre programme n’avait pas été bouleversé par la météo.
Sur la gauche, la falaise du Mailledot bouche complètement l’horizon, jusqu’à la gorge qui, droit devant, permet aux eaux de se déverser hors du cirque. Dans la falaise, deux rangées de rectangles sombres marquent l’emplacement des appartements dont l’un est celui qui m’a été attribué. Le ciel est libre de nuages, ceux-ci se tiennent à distance, au-delà des montagnes sur les régions côtières.
C’est étrange, j’observe ce paysage avec un sentiment mêlé d’émerveillement et de détachement. J’ai la sensation que ce lieu, cette ile, font déjà partie de mon passé. Le plus étrange, c’est que je ressens simultanément une sorte de déchirement et aussi l’absence d’un tel déchirement. Ce point particulier de la planète me manque déjà, mais en même temps, je le vois comme une affaire classée, comme s’il était temps de passer à autre chose.
Soudain, la pente se réduit, annonçant l’arrivée au col. Le chemin se divise en deux. L’un part sur la gauche le long de la crête, l’autre descend en serpentant dans la pente du cirque de Silahaut. Une flèche nous indique la voie à suivre. Est-ce par esprit de contradiction ou pour me donner une dernière opportunité d’explorer un recoin inconnu, mais je m’engage sur l’autre sentier. Vadina me regarde avec étonnement, puis hausse les épaules et s’engage à ma suite dans le chemin non fléché.
– Tu vas où, là ? Ce chemin suit la crête et mène au Piton Dénaige. Ce n’est pas ce qu’on avait prévu.
Vadina me semble assez irritée aujourd’hui. Quelque chose doit la contrarier.
– Qu’est-ce qui ne va pas, mon coeur ?
– Mais rien ! Tout va bien !
– Je le vois bien que quelque chose ne va pas.
– Tu ne vois rien du tout ! Si tu veux savoir : eh bien, j’ai mes ragnagnas ! Voilà, t’es content ?
– Tu mens très mal. Cela fait plusieurs siècles que les effets indésirables de l’ovulation ont été… enfin, qu’ils ne sont plus douloureux.
Vadina fond en larmes et se jette violemment dans mes bras, manquant de nous déséquilibrer. Pas une très bonne idée, sur cette crête qui n’a pas plus d’un mètre cinquante de large.
– Il y a que je ne veux pas te perdre. Je ne veux pas que tu retournes dans le passé.
– Mais il le faut bien. Je n’ai pas le choix.
– Mais si ! Tu as le choix. Tout le monde a le choix !
– Mais si je renonce à retourner chez moi, qui va l’écrire ce bouquin ?
Elle s’écarte un peu de moi, juste pour me regarder dans les yeux.
– Est-ce que tu as compris, ou même seulement écouté ce que t’as dit Jackson ?
– C’est qui ce… Jackson ?
– Mais oui, benêt ! Jackson, le chronoticien avec qui tu as discuté toute la soirée hier. Et tu n’as même pas été foutu de lui demander son nom.
– Ha ! Ben oui, je l’ai écouté. Pourquoi ?
– Parce que même si tu parvenais à effectuer une boucle dans les univers parallèles pour revenir en 1999, il est extrêmement improbable que tu parviennes à te réaligner exactement sur cette ligne de temps ci. Tu te retrouverais dans un passé qui n’est pas le tien.
– Pourtant, j’y suis parvenu. Le bouquin et le cahier que tu m’as donnés en sont la preuve.
– Mais, t’es crétin ou quoi ? Il est infiniment plus probable que ce soit l’un de tes doubles d’un autre univers qui aura pris ta place. Il n’y a qu’une seule chance sur une infinité, autant dire zéro, que ce soit bien toi qui l’aura fait.
– Eh bien, cette chance, je suis prêt à la courir.
– Quel con tu fais, tu vas te perdre encore plus. Je t’en conjure, fais le choix de rester ici avec moi et de laisser un de tes doubles faire le voyage de retour.
Avec précaution, je rebrousse chemin et l’emmène près de la bifurcation des chemins. Il y avait là un banc sur lequel nous pourrions nous reposer et attendre la fin de l’altercation.
– Tu sais, ce choix, quel qu’il soit, il ne sera définitif que le jour où j’aurai trouvé le moyen de rentrer, pas avant. Et ce n’est pas demain. Il n’y a pas de raison que l’on se quitte avant ce jour.
Vadina soupire longuement.
– Non ! Je ne pourrais le supporter. Je passerais mon temps à t’empêcher de trouver cette machine à remonter le temps. J’en deviendrais folle.
– Alors qu’est-ce que tu proposes ?
– Je ne propose rien. Je ne quitterai l’ile avec toi que si tu renonces définitivement à tenter de retourner dans le temps. Tu n’as que quelques jours pour choisir entre mon amour et ton égoïsme.
Je laisse passer quelques secondes avant de tenter de lui répondre.
– Un couple, c’est deux égoïstes qui tentent de se supporter. C’est ton égoïsme contre le mien. Comment crois-tu que je pourrais vivre si je renonçais à ce retour ? J’aurais tout autant pu rester dans Rama avec Nielle ! Si je suis redescendu sur la Terre, c’est uniquement pour retrouver celle de 1999.
– Alors, ton choix est irréversible !? Je crois bien que je le savais.
– Tu l’as toujours su !
Vadina se serre contre moi en sanglotant. Je ne sais comment la consoler. Je l’entoure de mes bras le plus tendrement possible.
Nous restons là près d’une heure sans dire un mot, chacun perdu dans les tourments de sa solitude, pourtant nos corps tentent désespérément de nous maintenir unis.
– Je crois qu’il est temps que nous nous remettions en marche.
– Je le crois aussi.
Nous nous engageons dans le chemin conduisant dans le cirque de Silahaut. Celui-ci descend sur une pente modérée en biais le long de la paroi. Nous devons d’abord suivre le profil d’une profonde ravine qui fait comme une carie dans l’escarpement. Encore quelques milliers d’années d’érosion, peut-être moins, et le col se trouvera une centaine de mètres plus bas. Plus tard encore, les deux cirques n’en feront plus qu’un.
Puis, pour un temps, le sentier ne descend plus, hésitant même à remonter.
– Tu vois Vadina, le chemin est parallèle à la crête. Je suis sûr que l’on aurait pu trouver un autre sentier pour descendre plus loin.
– N’en rajoute pas, s’il te plait !
Moi qui voulais rompre le silence oppressant tendu entre nous, c’est réussi. Je renonce et me réfugie dans un univers rien qu’à moi que je croyais abandonné pour toujours. Vadina semble s’en apercevoir.
– Bernard, pardonne-moi ! Je ne devrais pas réagir de la sorte, mais l’idée de notre prochaine séparation m’est insupportable.
– Je sais. Je te comprends. Enfin, j’essaie.
– Je vais essayer d’être plus positive. Il serait idiot que nous gâchions les derniers moments qui nous restent à partager. Oh ! Regarde ces fruits, là au bord du chemin : on dirait des fraises.
– Oui, je les avais déjà remarqués il y a quelques jours. Mais ici, il y en a beaucoup plus.
– Tu crois qu’on peut les manger ?
– Heu… Je ne sais pas. Elles me paraissent bizarres. Je ne suis pas sûr qu’il s’agisse vraiment de fraises. Regarde les feuilles, elles sont très différentes de celle des fraisiers de ma Suisse natale. Enfant, on m’a appris à me méfier des baies qui ne sont pas exactement celles que je sais comestibles. Et puis, c’est toi la biologiste, tu devrais mieux savoir ça que moi.
– Biologiste, oui, mais pas botaniste. Je sais reconnaitre les manifestations de la vie dans les environnements les plus divers. Je sais déterminer si telle formation rocheuse a pour origine un processus organique. Mais quant à pouvoir distinguer une plante d’une autre, je ne suis surement pas plus compétente que toi, peut-être même moins. Tu sais, à la fin du 21e siècle, la nature n’avait plus la diversité d’antan.
– En 1999, en Europe, les paysages que l’on disait naturels avaient déjà été complètement remodelés par la civilisation. Je vois très bien ce que tu veux dire.
– Non Bernard, je crains que tu ne voies pas vraiment. Des endroits comme celui-ci, il n’en restait que très peu, et ils n’avaient plus une étendue suffisante pour parvenir à s’auto-entretenir.
– Tu ne dramatises pas un peu ? Déjà à mon époque, il y avait des réserves naturelles et des parcs nationaux dont le but était de préserver des environnements dans un état le plus proche possible de la nature originelle.
– Le drame est là, Bernard : dans l’état le plus proche possible. C’était la porte ouverte à tous les abus. Il a été décrété qu’en raison de la pression des populations déplacées par les conséquences des changements climatiques, il n’était plus moralement possible de tenir les gens à l’écart des zones protégées. Le mot « réserve » a changé de sens pour prendre celui d’espaces mis en réserve pour y installer les réfugiés climatiques. Alors, tu vois : je n’ai pas beaucoup eu l’opportunité d’apprendre sur le terrain à différencier les baies comestibles de celles qui ne l’étaient peut-être pas.
– Oui, je vois. On pourrait se renseigner pour savoir si elles sont comestibles, mais même si elles l’étaient, je me sens mal à l’aise à l’idée d’en prélever. Parce que, si tout le monde qui passe ici, se mettait à s’en bâfrer, il n’y en aurait rapidement plus et nous serions retombés dans les erreurs du passé.
– Tu as sans doute raison. Laissons-les pour la petite faune locale. C’est ce que tu veux dire ?
– Oui. Si notre survie immédiate dépendait de baies : pourquoi pas ? Mais juste pour assouvir une petite gourmandise, non ! Des fraises, on peut en avoir tant qu’on en veut dans notre monde souterrain. Ici, nous ne sommes que des visiteurs.
– Fais gaffe ! Quand tu seras de retour chez toi, tu vas passer pour un écologiste extrémiste.
– Bah ! On ne m’a jamais pris au sérieux avant mon départ. Il n’y a pas de raison que ça change après mon retour. Surtout avec les histoires que j’aurai à leur raconter.
Nous rions de bon coeur. La tension entre nous a complètement disparu.
Au-delà d’une autre ravine à contourner, la descente reprend au travers d’une forêt peuplée de très grands arbres. Très grands, surtout si on les compare à la végétation poussant dans les conditions plus arides du cirque de Maïfatte.
Enfin apparait sur notre gauche, à une dizaine de mètres au-dessus du chemin, une construction en bois d’un autre temps. Elle ressemble à quelque chose entre un stand de marché et une terrasse devant une maison en rondins de trappeur du Far West. Un sentier étroit et pentu relie le chemin à la construction. Des marches faites de morceaux de racines facilitent la montée. Mais, contrairement à ma première impression, ce ne sont pas des bouts de racines prélevés ailleurs et posés là, mais bien des racines des arbres environnants que l’on a, semble-t-il, forcées à prendre des formes bien définies comme on le fait avec les branches d’un bonsaï.
Au sommet de l’escalier, nous passons sous un porche fait seulement de deux poteaux de bois et d’une planche sur laquelle sont gravées les phrases : « Bienvenue à la Tisanerie des Trois Salades. Nous restituons depuis plus de cinq siècles. »
Deux jeunes femmes se tiennent debout derrière un comptoir où sont disposés des petits sachets colorés. Des randonneurs les étudient avec attention et dialoguent avec les « vendeuses ».
– Et le rouge là, il est pour quoi ?
– Ha ! Celui-là, il est tout particulièrement destiné à soulager les rhumatismes.
– Mais les rhumatismes, plus personne n’en souffre de nos jours.
– Certes ! Mais cette tisane aura sur vous des effets bénéfiques qui éviteront à vos implantmédics de devoir synthétiser des molécules aux propriétés antidouleurs.
– Mais j’imagine que les substances actives contenues dans votre tisane sont les mêmes que celles que produiraient mes implantmédics, non ?
– Bien sûr, bien sûr ! Mais leur efficacité est augmentée par l’effet psychologique de l’action consciente de prendre soin de sa santé. Cela permet de réduire les doses.
– Ha bien ! Alors, je vais vous en prendre une boite pour une amie, moi je n’en ai pas besoin.
L’une des jeunes femmes nous fait signe.
– Ah ! Vous voilà ! Nous vous attendions depuis un moment déjà. Lyann a dû s’absenter un instant. En attendant son retour, si vous le désirez, je puis vous présenter notre assortiment de tisanes.
– Heu, oui, volontiers.
– Bien. Pour commencer, rappelez-moi : par quel chemin êtes-vous venu ?
– Nous sommes partis de Marala ce matin et avons franchi le col de Taillebite.
– Bien sûr ! Alors, voilà : je vous ai préparé une « descente ».
Elle nous tend deux tasses pleines d’un liquide jaunâtre duquel s’élève un petit filet de vapeur.
– Cette tisane est appropriée pour calmer le stress des muscles les plus sollicités par une pente descendante. Attention, c’est chaud.
– Merci ! Houla, oui, c’est chaud. En tout cas, ça sent bon. Pour les gens qui montent de Silahaut, vous leur servez une autre tisane ?
– Bien sûr ! Nous leur proposons « l’ascenseur », un mélange de feuilles spécialement étudié pour eux. Nous pouvons préparer plus de 300 tisanes différentes, selon les envies ou les besoins de nos visiteurs.
– Et vous les avez toutes dans ces petits sachets ?
– Non, bien sûr. Ici, nous n’en avons qu’une vingtaine, les plus demandées. Mais nous avons tous les ingrédients pour immédiatement préparer n’importe laquelle. Nous pouvons également vous les faire parvenir directement à votre domicile si vous en exprimez le désir.
Tout en soufflant sur le liquide pour accélérer son refroidissement, j’observe le stand.
– Mais dis-moi : votre baraque, là, elle fait assez vieillotte.
– Tu trouves ?
– Ben ouais ! Y a juste du bois et pas la moindre structure en silicarbone. Et puis le style, il était déjà complètement ringard à l’Éclosion.
– Bien sûr ! C’est complètement délibéré. Nos activités de restitution ont considérablement évolué, de concert avec la situation environnementale, mais pour ce qui est de la tisanerie, nous nous faisons un honneur de respecter à la lettre une tradition qui date du tout début de notre noeud.
– Tu veux dire que cette construction est vieille de cinq siècles ? Wow !
– Bien sûr que non ! Nous la reconstruisons régulièrement avec le bois qui est produit sur place. Pour diverses raisons, il nous arrive de devoir abattre un certain nombre d’arbres. Soit nous compostons les matières organiques qui les composent, soit nous utilisons le bois pour ériger les constructions dont nous avons besoin ou pour la fabrication de divers objets.
– Je me disais aussi qu’elle ne pouvait pas être aussi vieille que ça.
Un homme d’environ 25 ans s’approche de notre interlocutrice et lui parle doucement à l’oreille.
– Oh ! Bien sûr !
Elle se tourne vers nous.
– Mes amis, je suis désolée, mais Lyann va être retenu plus longtemps que prévu. Moucien se propose de le remplacer pour le début de la visite. Si vous voulez bien le suivre ?
– Oui, suivez-moi !
Nous nous dirigeons vers un sentier qui se perd dans la forêt. La femme nous court après et m’interpelle.
– Bernard ! Cela te dérangerait-il de me rendre la tasse ? Si tu as terminé ta tisane, bien sûr !
Stupéfait, je regarde mes mains. Dans l’une d’elles se trouve une tasse vide.
– Oh ! J’avais oublié ! Mais bien sûr !
Ce Moucien, il est d’un débraillé! Il porte un short taillé dans un vieux pantalon et qui s’effiloche complètement. Son T-shirt, il est pas mieux, tout troué. Les mites, elles ont dû se faire une indigestion pour le mettre dans cet état. Il marche pieds nus, sans se soucier du mélange de paille coupante et d’aiguilles de pin dont est couvert le chemin. On dirait que cela fait des mois qu’il vit comme un sauvage dans cette forêt. Peut-être est-ce bien le cas.
D’un large mouvement de son bras étendu, Moucien nous désigne les parois du cirque.
– Voici le décor dans lequel s’est développé le noeud des Trois Salades. Le nom vient de pitons du même nom qui se dressent sur la crête au-dessus du site. Juste là ! La légende dit que c’est une sorcière, dont on voit ici les pieds, là les seins et là la tête qui utilisait les salades pour agrémenter les potions qu’elle faisait mijoter dans le grand chaudron, en réalité le cratère du vieux volcan du Piton Dénaige, que l’on aperçoit plus loin.
Il nous laisse admirer un instant la sorcière pétrifiée, avant de poursuivre :
– C’est ici même, sur cette parcelle, que les fondateurs du noeud des Trois Salades ont entamé le processus et développé les techniques de restitution sur l’ile de La Fournaise. À l’époque, les pratiques d’agriculture extensive sur brulis ont provoqué la disparition progressive de l’humus qui recouvrait les pierriers qui constituent les flancs des cirques. Seul le cirque de Maïfatte avait été préservé, pour des raisons encore mal définies.
Vadina l’interrompt :
– D’après mes maigres connaissances en technique agricole, il me semble que la culture sur brulis était une pratique très ancienne qui consistait à bruler les déchets végétaux pour fertiliser le sol. Elle était pratiquée depuis des millénaires sans avoir conduit à des désastres écologiques. Alors pourquoi cela a-t-il été le cas ici ?
– Le brulis n’était une technique durable que, combiné avec une jachère de longue durée. Les terres brulées ne sont productives que quelques années et doivent ensuite être laissées à l’abandon pour que la nature régénère le sol, ce qui est un processus très lent. La culture sur brulis n’est donc durable qu’avec des densités de population très faibles. Ici, à La Fournaise, par la nature insulaire du lieu, la densité de population a très vite rendu problématique la mise en jachère des terres. Un autre problème lié à la culture sur brulis est que l’humus, à force d’être brulé se transforme en une terre poudreuse si fine qu’elle s’écoule dans le sol rocheux.
– Comment cela ?
– Le cirque de Silahaut, tout comme ceux de Maïfatte et de Salazille, résulte de l’effondrement d’anciennes chambres magmatiques, laissées vides après l’extinction définitive du volcan du piton Dénaige. La voute de ces chambres se trouve maintenant sous nos pieds, réduite à des pierriers épais de plusieurs centaines de mètres. Ces pierriers sont pleins de vide, laissant la terre couler dans les interstices comme le sable dans un sablier.
– Mais alors, si la terre s’écoule entre les rochers, comment se fait-il qu’elle ne l’ait pas déjà fait avant l’arrivée des agriculteurs ?
– Après l’effondrement, il a fallu des milliers d’années pour que s’accumulent des déchets végétaux suffisamment volumineux pour être retenus près de la surface. Lentement, encore plus lentement que sur des terres compactes, s’est constitué un humus assez étanche pour constituer un sol capable de retenir les nutriments et même l’eau de pluie indispensable au maintien d’un écosystème riche. Il aura suffi de moins de deux siècles d’inconscience humaine pour retransformer en désert tout ce que vous voyez ici et dans le cirque.
J’exprime mon étonnement.
– Ben, moi, ce que je vois, c’est un cirque couvert d’une épaisse végétation qui m’a tout l’air d’être une forêt primaire. En plus, elle me parait en bien meilleure santé que celle du cirque de Maïfatte. Il n’y a qu’au fond des ravines que les crues des rivières empêchent la croissance de la forêt. Si la situation à l’Éclosion était vraiment celle que tu nous as décrite, et qu’il faut des millénaires pour que la nature reprenne ses droits, comment ces forêts ont-elles pu repousser en si peu de temps ?
– C’est justement notre travail ici. La restitution ne consiste pas simplement en des actions de désurbanisation ou d’arrêt des pratiques de destruction des écosystèmes. Il s’agit d’actions directes et intensives pour reconstituer, autant que cela se peut, des écosystèmes riches en biodiversité.
– Tu veux dire que ce que l’on voit là, ce ne sont pas des forêts primaires ?
– Si ! Enfin presque. Du point de vue de leur contenu en espèces, ces forêts sont similaires à des forêts naturelles, mais elles ont été cultivées selon un programme spécifique afin d’accélérer leur reconstitution. À l’heure actuelle, elles…
Il s’interrompt, lève le bras et agite sa main, comme pour saluer quelqu’un.
– Ah ! Voilà Lyann qui arrive. Je vais vous laisser, car j’ai beaucoup à faire. Profitez bien de votre visite. Au revoir !
Il s’en va en nous laissant juste le temps de le saluer en retour.
À son apparence, je dirais que le nouvel arrivant est un homme d’une soixantaine d’années, selon les critères du 20e siècle. Il en a probablement une vingtaine de plus. Son T-shirt et son short sont en un meilleur état que ceux de Moucien, sans prétendre toutefois à être neufs. Porteur d’une imposante barbe poivre et sel, il donne l’impression d’un grand-père affable.
– Soyez les bienvenus aux Trois Salades ! Et pardonnez-moi pour mon retard.
– Oh ! Il n’y a pas de quoi. Moucien s’apprêtait à nous expliquer comment les forêts qui nous entourent ont été reconstituées.
– Certes ! J’imagine que vous avez été surpris par les différences de pratique de la restitution moderne comparée à celles de vos époques respectives.
Vadina et moi, nous nous regardons, un peu embarrassés.
– Heu, en fait, pour ma part, en 1999, on ne parlait pas encore de restitution. On commençait à peine à prendre les écologistes au sérieux. On ne parlait des forêts tropicales que pour évaluer les surfaces coupées ou brulées pour faire place à l’industrie agroalimentaire. Les forêts boréales, elles, elles étaient sacrifiées sur l’autel de l’industrie du papier.
– Et un siècle plus tard, même si officiellement, on prenait les écologistes au sérieux, on n’hésitait pas à sacrifier les dernières réserves naturelles pour y installer les millions de réfugiés des changements climatiques et de la montée des océans.
– Oui, c’était dramatique, en effet. Mais c’est pourtant durant ces périodes troublées que se sont développés les premiers programmes de restitution.
– Il y a un an ou deux de mon vécu, j’avais vu un documentaire à la télé qui montrait un programme de rachat de terres par une ONG dans le nord-est du Brésil pour les reboiser par un semblant de forêt vierge et de confier leur entretien aux habitants du coin. Mais les surfaces ainsi restituées, comme on dit maintenant, étaient totalement dérisoires, comparées à celles qui tombaient sous les dents des tronçonneuses.
– Il fallait bien commencer par quelque chose. C’est approximativement à cette même époque que nous avons entrepris nos premières expériences en ce lieu. Nous avons commencé par juste quelques mètres carrés de caillasse recouverte de compost. Au fil des ans, les surfaces traitées ont augmenté pour remplir toute la parcelle qui nous avait été allouée. Parallèlement, d’autres noeuds de restitution active se sont formés ailleurs dans le cirque et partout sur l’ile ou des terres avaient été laissées à l’abandon après avoir été surexploitées.
– Tu veux dire, au 21e siècle ? Heu… dans le premier siècle de l’Éclosion ?
– Oui, en effet.
– Mais pas les villes, non ?
– Oui et non ! Dans les villes de l’ile comme ailleurs sur la planète, les immeubles que l’on ne recouvrait pas de cellules solaires ont été progressivement végétalisés, offrant à la fois une excellente isolation thermique et de la nourriture pour leurs habitants. Ce qui fait que même avant la phase de restitution urbaine, durant laquelle les habitations ont été transférées en sous-sol, la végétation avait repris une grande part de la place qui était la sienne.
– Mais pourquoi avoir émigré en sous-sol, si la nature avait déjà été réintroduite dans les régions urbaines ?
– La culpabilité ! L’humanité se sentait coupable de l’état dans lequel elle avait réduit la planète. Le besoin de réparer les dégâts impliquait pour beaucoup de monde de rendre à la nature tout, absolument tout, le terrain occupé par la civilisation. Comme il fallait tout de même de la place pour des habitations humaines, l’idée de s’installer sous le sol s’est imposée.
– Les gens ont vraiment accepté de se terrer ? J’ai de la peine à le croire. Ce ne doit pas être facile de renoncer à vivre à l’air libre. En tout cas, moi, je ne m’en sens pas capable. Il m’est indispensable de passer un temps considérable à la surface, de voir le ciel, de sentir le vent caresser mon visage.
– Les restituteurs extrémistes s’attaquaient à tous les bâtiments de surface, quelles que soient leurs fonctions, industrielles, ludiques ou d’habitation. Les gens ont vite compris qu’ils seraient plus en sécurité s’ils abandonnaient spontanément leurs demeures traditionnelles. Et puis, je crois savoir que même à l’Éclosion, les habitants des villes passaient la majeure partie de leur temps à l’intérieur des immeubles, avec très souvent de la lumière artificielle. Est-ce que je me trompe ?
– Heu, non. Pas vraiment. Mais les loisirs à l’air libre étaient indispensables. Quoique tu aies raison, nombreux étaient ceux qui dépensaient des fortunes pour entretenir leur forme physique dans des salles d’exercice spécialement conçues à cette fin au lieu de profiter des parcours sportifs aménagés dans les forêts aux abords des villes.
– Peut-être l’as-tu aussi constaté, il n’y a pas que dans les cirques que des accès à la surface, les huilets, ont été aménagés. Simplement, les aménagements extérieurs sont très discrets et s’intègrent parfaitement dans l’environnement. D’autant plus que la densité de population est maintenant bien inférieure à celle de jadis.
– Je comprends mieux. Mais il y a encore quelque chose qui m’intrigue : si les écosystèmes ont été reconstitués sur toute l’ile, quelle est votre activité à présent ?
– On ne peut dire que se sont les écosystèmes qui ont été reconstitués, du moins pas complètement. C’est bien le but, mais à l’heure actuelle, la végétation ressemble certes assez à l’originale, mais il manque encore de nombreux éléments, dans la faune particulièrement, pour qu’un équilibre à long terme puisse se maintenir sans intervention humaine.
– Tu veux dire que l’absence de certains animaux disparus empêche les écosystèmes de fonctionner de manière autonome ? Vous envisagez une solution ?
– C’est justement l’activité principale de notre noeud en dehors de l’aspect touristico-historique de la tisanerie.
– C’est à dire ?
– Si vous voulez bien me suivre, je vais vous montrer les moyens que nous mettons en oeuvre pour résoudre ce problème.
De quoi peut-il bien parler ? Comment remplacer la fonction des espèces disparues ? En fabriquant des petits robots qui se comporteraient comme les animaux manquants ? Ce n’est pas réaliste, car c’est non seulement le comportement de ces bestioles, mais aussi, et surtout leur interaction biologique avec l’environnement qui est essentielle, leur action de proies ou de prédateurs. Alors, des robots, ce serait stupide.
Tout en suivant Lyann, j’interroge Vadina.
– Vadina, as-tu une idée de ce dont il pourrait s’agir ?
– Peut-être qu’ils sélectionnent des espèces animales proches de celles qui ont disparu pour les adapter à cet environnement.
– Oui, peut-être. Enfin, on verra bien.
Nous approchons d’une bicoque aux murs de pierres sèches. On dirait une bergerie de montagne. De la fumée s’échappe d’une cheminée. Lyann nous fait entrer dans la bâtisse. La seule lumière, outre celle s’infiltrant par la porte et de minuscules fenêtres, est irradiée par un feu de bois au-dessus duquel est pendu par une grosse chaine un chaudron dans lequel mijote une sorte de ragout.
– Hmmm ! Ça sent bon ! Qu’est-ce que c’est ? On dirait de la volaille.
– Du dodo !
– Du dodo ? Mais cette espèce est éteinte depuis des siècles.
– Était éteinte ! Nous l’avons ressuscitée, enfin nous nous y attelons. Comme beaucoup d’espèces disparues avant la constitution des banques génétiques, il est extrêmement difficile de trouver des échantillons d’ADN de bonne qualité.
– Heu… Je ne suis pas sûr de comprendre. Vous vous efforcez de reproduire des animaux disparus et vous les passez ensuite à la casserole ? C’est débile. Le but n’est-il pas de les relâcher dans la nature ?
– Certes, mais seulement une fois que leur capital génétique répond aux besoins de la réintroduction. Dans le cas contraire, si leur chair s’avère comestible, nous n’hésitons pas à nous en nourrir. Venez, je vais vous montrer.
Il nous fait signe de descendre un escalier en colimaçon qui s’enfonce dans le sol. Les premières marches sont faites de pierres grossièrement taillées. Elles sont ensuite remplacées par d’autres, de facture plus moderne, faites dans le même matériau que celui utilisé pour tous les couloirs souterrains de l’ile. L’escalier débouche au milieu d’une petite salle ronde d’où partent six couloirs couverts de motifs colorés caractéristiques.
– Ah ! Je me disais bien qu’il devait y avoir un huilet ici.
– Pas vraiment. Nos laboratoires sont de construction récente, mais ne sont pas reliés directement au réseau urbain. C’est par là !
D’un geste, il nous désigne le chemin à suivre. Au bout d’une vingtaine de mètres, je commence à percevoir un courant d’air soufflant de la gauche. Je ne parviens pas à repérer les bouches d’aération d’où il est issu. Très vite, nous sommes enveloppés de tourbillons d’air qui s’infiltrent partout, même sous nos vêtements. Loin d’être dérangeant, je trouve cette sensation très agréable, sensuelle, voire même érotique. Je jette un regard à Vadina, qui d’un sourire et d’un effleurement de sa main me fait comprendre que les mêmes pensées l’habitent. Je m’adresse à Lyann :
– microturbulences ?
– Oui, il s’agit d’un sas de décontamination. Nos vêtements et nos peaux sont ici débarrassés de toutes poussières et tous microorganismes qui pourraient contaminer nos échantillons. Mais rassurez-vous, cela ne va pas durer longtemps.
– Oh ! C’est pas un problème, au contraire. C’est plutôt agréable, n’est-ce pas Vadina.
Elle me jette un regard qui semble dire que je ne devrais pas parler de ça en public. Lyann ne peut réprimer un léger sourire.
Nous débouchons dans une grande salle encombrée de nombreux appareils aux fonctions qui me sont inconnues et aussi de cages contenant toutes sortes d’animaux de petite taille.
– Voici l’écloserie.
Il nous conduit vers une sorte de couveuse transparente dans laquelle sont disposés une dizaine d’oeufs, de taille comparable à ceux d’une poule, couverts de taches vertes et rouges.
– Oh ! C’est bientôt Pâques ?
Les personnes présentes me regardent sans comprendre.
– Ben oui. Je faisais allusion à une fête religieuse de mon époque qui mélangeait des traditions chrétiennes et païennes. Il y était question d’oeufs et de lapins, de cloches qui allaient à Rome et d’autres bizarreries de ce genre.
– Des oeufs de lapins ? Très bizarre, en effet. Ici, il s’agit d’oeufs de dodos. Ils devraient éclore d’un instant à l’autre. Regardez-les ! Ils commencent à s’agiter.
En effet, l’un des oeufs était l’objet de petits mouvements brusques et saccadés. Puis, soudain, il se fendille et des morceaux de coquille se soulèvent.
– Ha ! Mais c’est Jurassic Park ! Lyann, t’es sûr qu’il s’agit bien de dodos, pas de petits vélociraptors ?
– Des dinosaures ? Non, non, ne t’inquiète pas. Les oiseaux descendent bien des dinosaures, mais ce ne sont pas des dinosaures. Mais qui sait ? Ta suggestion mériterait d’être étudiée.
Je ne parviens pas à déterminer s’il plaisante ou s’il parle sérieusement. Pendant ce temps, le poussin redouble d’efforts pour briser sa coquille. On commence à percevoir son bec, long et fin, légèrement recourbé.
– Pas encore au point, vos dodos. Le bec de celui-ci n’est pas très ressemblant. Les vrais dodos avaient un bec très gros, pas un bec effilé comme celui-ci.
– Ah ! Il s’agit de dodos de Bourbon, pas de Maurice ! Il ne faut pas confondre. Il ne s’agit pas du tout du même animal. Certes, les deux espèces avaient renoncé à voler en raison de l’absence de prédateurs, mais ils ne proviennent pas de la même lignée. Il s’agit d’une évolution convergente où des conditions environnementales proches ont conduit à l’apparition de caractères similaires. Le dodo de Bourbon est un parent de l’ibis sacré du Nil, alors que celui de Maurice n’est qu’un vulgaire pigeon obèse.
– l’autre jour, j’ai surpris une conversation. On y parlait d’une sorte de monstrueux prédateur disparu qui aurait eu un pelage comme celui d’un zèbre : noir rayé de blanc, ou le contraire.
Lyann prend un air perplexe.
– Une sorte de zèbre carnivore ? Non, je ne vois pas.
– Je crois que son nom doit être quelque chose comme… je ne me souviens pas bien… comme… « leuchaque » ou quelque chose comme ça.
– Ne serait-ce pas plutôt « le Chik » ?
– Oui ! « leuchique », c’est ça.
– Alors, le Chik est un animal totalement mythique que l’on invoquait pour faire peur aux enfants. Imagine une sorte de moustique de deux mètres de haut, tout noir avec des anneaux blancs sur les pattes. Lorsqu’il piquait ses victimes, il leur suçait tout le contenu de leur corps, ne laissant que la peau et les os. Il aspirait même la moelle des os dont, parait-il, il se régalait.
– Qu’il existât ou pas, je comprends que vous ne soyez pas très motivés pour le ressusciter.
– Par contre, nous travaillons sur divers insectes endémiques qui avaient été éradiqués à force de pesticides. Suivez-moi, je vais vous les montrer.
Lyann nous conduit vers un grand vivarium dans lequel on aperçoit divers reptiles, rongeurs et autres batraciens. On voit également voler des papillons multicolores, des mouches et d’autres insectes minuscules qu’il m’est impossible d’identifier. Un gros moustique vient se poser sur la vitre. Ses pattes et son abdomen sont couverts de taches blanches.
– Vadina, t’as vu celui-ci ? On dirait un Chik miniature.
– Lui, c’est un Aedes Aegypti, ou moustique tigre. Il était le vecteur de maladies comme la dengue et la fièvre jaune. Je ne vois pas vraiment pourquoi l’on cherche à le réintroduire.
Un biologiste présent intervient.
– La présence de moustiques est indispensable pour occuper certaines niches écologiques. Nous nous devons donc d’en réintroduire le plus possible. Par contre, nous nous permettons de… comment dire… les améliorer pour éviter certains inconvénients, dans la mesure où cela ne nuit pas à leur fonction écologique. En l’occurrence, nous ne produisons que des moustiques dont les femelles ne piquent pas. L’Aedes aegypti que vous voyez ici a été modifié génétiquement pour ne plus avoir besoin de se nourrir de sang de mammifères pour parvenir à se reproduire.
Lyann interrompt les explications de son collègue.
– En parlant de nourriture, seriez-vous tenté par un cari dodo ?
Après un excellent repas, nous quittons les Trois Salades pour poursuivre notre chemin en direction de Silahaut.
– Je crains d’avoir un peu abusé du cari dodo. C’était tellement bon.
– Meilleur que le cari saucisse ? Tu ne crains pas de nuire à ta réputation ?
– Non, pas tout à fait. Mais je sais maintenant pourquoi les dodos ont disparu si rapidement après l’arrivée des Européens sur l’ile.
– Mais si le cari saucisse est encore meilleur, pourquoi ce ne sont pas les saucisses qui ont été exterminées ?
– Mais si ! Mais si ! Les saucisses sauvages ont été chassées impitoyablement, jusqu’à la dernière. La preuve : as-tu déjà surpris, en te promenant en forêt, une saucisse en train de fouiner dans le sol pour attraper des vers de terre pour nourrir ses petits ?
– Tu vas me manquer, Bernard. Tu vas beaucoup me manquer.
– Nous n’en sommes pas encore là, Vadina. Il nous reste encore quelques jours.
– Je crains que nous en soyons là, malheureusement. Nos chemins se séparent à Silahaut.
– Tu ne voudrais pas au moins que nous fassions encore un dernier câlin ensemble, histoire de nous quitter dans les meilleures conditions possible ?
– Non Bernard ! C’est mieux ainsi.