Quel avenir pour 2030 ?

Il y a quelques jours, alors que je revenais juste d’un voyage lointain durant lequel j’ai participé à une rencontre rapprochée du 3ème type avec les intelligences marines, j’ai reçu le courriel suivant:

Bonjour Monsieur Krummenacher,
Je suis une collégienne qui étudie présentement dans une école secondaire du Québec au Canada. Je fais partie du programme d’éducation internationale et pour la dernière année de notre secondaire, nous avons comme tâche de réaliser un projet personnel. Je vous expliquerai tout d’abord en quoi consiste le mien et les raisons pour lesquelles j’ai décidé de vous contacter.
Je suis une personne qui s’intérésse beaucoup à notre avenir. Que ce soit ses enjeux, ses nouvelles technologies ou valeurs, etc. J’aime m’imaginer des scénarios et connaître ceux des autres tout en restant réaliste. Alors l’objectif de mon projet personnel est d’établir une projection de l’avenir à la lumière de notre situation actuelle. Ce dernier sera présenté sous forme d’un journal d’actualités. Je me donne approximativement 25-30 ans plus tard qu’aujourd’hui.
Lors de ma recherche, je suis tombée sur votre site internet et j’ai commencé à lire vos articles concernant L’avenir du futur. J’ai trouvé vos réflexions originales, vraiment qui sortent de la normal. Votre style d’écriture m’a autant accroché. Je n’ai pas encore lu un de vos romans, seulement leur résumé. Ce qui m’amène à vous contacter, c’est que j’aimerais que vous répondiez à certaines de mes questions afin de connaître vos perceptions face à notre avenir. Je suis certaine que vos réponses pourront m’aider encore plus, puisque vous êtes une belle source d’inspiration pour moi. Alors maintenant voici mon mini-interview:

QUEL AVENIR POUR 2030 ?
D’après vous, quelle place aura l’environnement dans nos vies ?
Comment imaginez-vous nos technologies de demain ?
A quoi ressemblerait notre monde meilleur ? Est-il toujours possible d’en avoir un
Avez-vous confiance en l’avenir ?
Selon vous, quels seront les plus gros enjeux d’ici 25 ans ?
Comment voyez-vous l’énergie du futur ?

Si vous avez d’autres commentaires à rajouter, n’hésitez surtout pas !
Merci beaucoup d’avoir pris de votre temps et en espérant de tout mon coeur d’avoir de vos nouvelles.

Voici les réponses que je lui ai apporté. J’espère qu’elle pourront également être utiles à d’autres personnes:

Chère collégienne,
D’après ce que j’ai trouvé sur Wikipedia concernant le système scolaire québécois, tu dois avoir environ 16 ans. Ce qui fait qu’en 2030, tu en auras 36. Je suis très heureux de pouvoir communiquer avec une personne de ton âge qui s’interroge sur le devenir du monde.
Dans vingt ans, ta génération prendra progressivement les commandes du vaisseau spatial « Terre », alors que la mienne en sera à l’âge du bilan. Je parle de générations comme s’il s’agissait d’individus qui auraient une conscience propre, comme si l’on pouvait les louer pour leurs réalisations ou les blâmer pour leurs erreurs. Mais c’est une grossière erreur : les sociétés humaines sont des collections d’individus qui poussent chacun dans la direction qu’ils veulent personnellement donner à leur société. Il en résulte un mouvement d’ensemble doué d’une très forte inertie qui ne peut satisfaire une majorité, si ce n’est que durant un temps limité. Certaines personnes semblent avoir plus d’influence que les autres sur le cours des évènements, mais ma conviction est que ces personnes ne font qu’accompagner la tendance.
Ce n’est pas une raison pour se résigner, au contraire. Il est important que chacun agisse de son mieux pour infléchir la course de la société dans le sens qui lui paraisse souhaitable, pour faire avancer le Schmilblick comme le disait le regretté Coluche. Si de nombreuses personnes poussent dans la même direction, alors des changements deviennent possibles. C’est dans ce but que je me suis mis à écrire, en espérant que mes lecteurs choisiront de pousser dans une direction assez proche de la mienne. C’est parfois désespérant, mais lorsque je reçois des courriels comme le tien, cela m’encourage à persévérer.
Dans mes romans, je présente un monde « idéal » que je situe dans un avenir éloigné de cinq siècles. Pourquoi si éloigné ? Parce que comme je l’ai écrit plus haut, les sociétés humaines ont une inertie considérable et il serait malhonnête de ma part de prétendre que l’on pourrait tout changer d’un simple coup de baguette magique. Je voudrais bien, mais l’histoire nous montre que ce n’est jamais le cas, que les changements brutaux, les révolutions, engendrent des solutions pires que le mal. Les seules révolutions qui réussissent n’en sont pas, elles ne sont que des fruits murs qui tombent lorsque leur heure est venue. Je pense en l’occurrence à la fin des dictatures espagnoles et portugaises et à la fin du communisme dans les anciens pays de l’Europe de l’est.
Dans mes blogs, j’ai essayé (car je n’y ai plus contribué depuis quelque temps) d’imaginer des pistes qui permettraient, à court et moyen terme, d’imaginer les étapes vers le monde meilleur et malheureusement lointain de mes romans. C’était un exercice difficile et parfois démoralisant.
Mais c’est avec plaisir que je vais essayer de m’y remettre et de tenter d’apporter des réponses à tes questions.

D’après vous, quelle place aura l’environnement dans nos vies ?
Dans tous les cas, l’environnement aura une place prépondérante dans nos vies.
Si par bonheur, le frémissement de prise de conscience qui parcourt le monde avait une répercussion dans les décisions politiques et économiques, alors on pourrait imaginer un grand mouvement de réhabilitation des milieux naturels qui concerneraient une majorité des postes de travail.
Si au contraire, l’économie et les gouvernements s’obstinent dans le dogme de la croissance continue, les atteintes à l’environnement vont empirer et par conséquent sa dégradation ne fera que s’accélérer. Ce que les tenants de la croissance économique à tout prix ne comprennent pas, c’est que l’écosystème terrestre ne peut pas fonctionner s’il est réduit à un ensemble de villes polluées et de cultures destinées exclusivement à l’alimentation humaine. C’est ce que montrent les recherches récentes sur la biodiversité : les écosystèmes ne fonctionnent et ne se maintiennent que parce qu’ils sont extrêmement complexes et diversifiés et qu’ils ont tendance, une fois qu’ils sont fortement altérés, à s’effondrer très rapidement. Il est à craindre que les effets seront déjà très sensibles dans les deux prochaines décennies.
 
Comment imaginez-vous nos technologies de demain ?
Là, c’est probablement la plus difficile de tes questions. Il y a vingt ans, très rares étaient les personnes qui avaient pu prévoir le développement d’Internet. Il y a seulement dix ans, qui aurait imaginé que la très jeune société Google serait le géant actuel, que nous utiliserions tous les jours ou presque ses outils GoogleMaps et GoogleEarth, pour nous promener virtuellement sur l’ensemble de la planète ? Il y dix ans encore, Wikipédia, l’encyclopédie participative avec ses millions d’articles dans plusieurs dizaines de langues, n’existait pas encore, si ce n’est dans l’imagination de quelques universitaires qui se sont depuis fait complètement dépasser par leur création.
Que deviendront les réseaux sociaux comme Facebook ou Twitter ? Seront-ils plus qu’une mode ou laisseront-ils la place à d’autres choses ? Je suis incapable de répondre.
L’avenir même d’Internet est incertain. Peut-être as-tu entendu parler de la question de la neutralité d’Internet ? Il s’agit de savoir si les fournisseurs d’accès à Internet doivent laisser circuler tout le trafic sans discrimination ou s’ils peuvent donner la priorité aux fournisseurs de services qui sont prêts à payer pour un accès privilégié. Cette question est actuellement ouverte et de sa réponse dépendra la forme future d’Internet : soit un formidable outil d’information, de liberté et de démocratie ou alors un simple réseau de communication soumis aux bons vouloir de sociétés commerciales qui n’ont d’autres ambitions que d’en tirer un profit maximum, à l’image des opérateurs téléphoniques actuels.
Les technologies de ces prochaines décennies dépendront également des choix qui seront faits au niveau économique et environnemental. Je pense que si l’on parvenait à faire le choix d’une société plus respectueuse de l’environnement, loin d’abandonner la technologie, nous l’utiliserions de manière plus rationnelle. Par exemple, nous conserverions nos téléphones portables cinq ou dix ans avant d’en changer, non seulement parce qu’ils seraient conçus pour durer plus longtemps, mais aussi parce qu’il nous paraitrait immoral d’en changer rien que parce que le nouveau modèle est vachement plus fun que le précédent.
 
À quoi ressemblerait notre monde meilleur ? Est-il toujours possible d’en avoir un
Certainement, il est toujours possible d’avoir un monde meilleur. Mais il faudra lutter pour qu’il se concrétise. Comme je l’ai expliqué plus haut, les sociétés ont une très forte inertie, c’est pourquoi on peut espérer que dans vingt à vingt-cinq ans, le monde soit légèrement meilleur qu’aujourd’hui, mais seulement en chemin vers un monde vraiment harmonieux.
Ce que l’on pourrait espérer et ce serait déjà un changement majeur, serait la fin du conflit moyen-oriental. Si la paix pouvait s’établir entre Israël et ses voisins, l’essentiel des tensions militaires en ce monde disparaitrait. Il serait alors possible de reconvertir une part très importante des immenses ressources, qui sont actuellement gaspillées en armements, pour des usages enfin utiles.
On peut également espérer que l’on prenne rapidement la mesure des actions à entreprendre pour lutter contre les causes des changements climatiques et que l’on stoppe l’emprise de l’humanité sur les derniers espaces naturels. Alors on pourrait imaginer un grand mouvement de réhabilitation des milieux naturels qui concerneraient une majorité des postes de travail (oui, oui, j’ai copié cette phrase de la réponse à ta première question).
 
Avez-vous confiance en l’avenir ?
Oui ! Il me le faut, si je ne veux pas perdre courage.
En fait, ce n’est pas en l’avenir qu’il faut avoir confiance. Le temps, il n’en a rien à faire de ce qui se passe sur ce petit caillou orbitant autour d’une banale étoile de cette galaxie parmi tant d’autres.
C’est aux gens qu’il faut avoir confiance. Aux gens et à leur volonté à affronter les défis auxquels nous sommes tous confrontés.
 
Selon vous, quels seront les plus gros enjeux d’ici 25 ans ?
La surpopulation !
Dans les années 70, on parlait beaucoup des problèmes de surpopulation. Par la suite, l’espoir d’une stabilisation de la population mondiale grâce à la transition démographique et probablement aussi et même surtout aux pressions de mouvements religieux fondamentalistes, cette question est pratiquement devenue tabou. Il est actuellement politiquement incorrect d’aborder cette question, quoique ces derniers mois, j’observe un léger revirement de situation.
Tu as dû lire mes articles Le monde est plein à craquer et Bosser ou procréer, il faut choisir. Je ne détaillerai donc pas mon argumentation ici. Mais il est clair, selon moi, qu’une réduction drastique de la population humaine est la clé de toutes les solutions aux problèmes environnementaux auxquels notre planète est confrontée.
 
Comment voyez-vous l’énergie du futur ?
Les énergies solaire, éolienne et dans une certaine mesure, hydraulique et géothermique. Se sont les seules sources d’énergie vraiment inépuisables.
Le pétrole, maintenant on sait qu’il est en cours d’épuisement rapide. Et même si la date du pic pétrolier est sujette à controverse, il est évident qu’en raison des changements climatiques dont il est responsable, il est urgent de renoncer à son usage.
Le charbon, on en a pour plus longtemps que le pétrole, mais son utilisation est encore plus désastreuse pour l’environnement.
La fission nucléaire essaie de se refaire une réputation d’énergie propre. La production directe d’électricité dans les centrales nucléaires n’émet certes pratiquement pas de CO2, mais si l’on considère le cycle complet de l’uranium, de son extraction à son recyclage, il faudrait nuancer. Et puis, on propose le nucléaire comme étant la seule solution à court terme pour satisfaire les besoins toujours plus grands en énergie. On considère que les réserves mondiales d’uranium sont suffisantes pour alimenter le parc mondial actuel de centrales durant environ un siècle. Comme le nucléaire couvre actuellement environ 6.8 % de l’énergie utilisée dans le monde, fournir seulement le quart de l’énergie mondiale en 2030 (en admettant une augmentation de consommation de 50 %), il faudrait multiplier le nombre de centrales par 5, ce qui amènerait un épuisement des réserves d’uranium en à peine 20 ans.
Sans même évoquer le problème des déchets nucléaires qui n’est toujours pas résolu, il suffirait d’un nouvel accident tel que celui de Tchernobyl pour que les réactions psychologiques condamnent définitivement cette filière.
La fusion nucléaire provoquerait moins de déchets nucléaires que la fission, mais les problèmes techniques à résoudre sont tels que cette technologie ne sera pas disponible avant une trentaine d’années, si jamais elle le sera un jour.
Les biocarburants (algues incluses) entrent en concurrence directe avec l’alimentation humaine et les derniers espaces naturels. Même s’ils ont la réputation d’être neutres du point de vue du CO2, ils n’offrent en aucun cas une solution aux problèmes environnementaux auxquels est confrontée la planète.
Il est donc impératif d’effectuer la transition vers l’énergie solaire dans les plus brefs délais. La construction de maisons passives (qui ne consomment pas d’énergie de chauffage) est désormais une réalité, même dans les pays nordiques. On parle même de maisons à énergie positive (qui produisent plus d’énergie qu’elles n’en consomment).

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Dans mes réponses, j’ai essayé de te montrer tant les évolutions positives que négatives possibles. J’aimerais beaucoup que ce soit les positives qui se réalisent, mais malheureusement, je crains fort que nous ne nous dirigions pas dans cette direction. Ma vision à court et moyen terme, pour le siècle courant et peut-être aussi pour le suivant, est très pessimiste. Pour utiliser une phrase-choc dont je n’ai de loin pas l’exclusivité, « nous allons dans le mur ». Et au lieu de ralentir et de tenter d’infléchir la trajectoire, nous pressons sur l’accélérateur en poussant des cris hystériques.
J’ai la conviction que nous ne parviendrons pas à éviter la catastrophe, que durant ce siècle, des milliards de personnes décèderont des suites des dérangements climatiques d’origine humaine et des conflits qui pourraient en résulter. À plus long terme, plusieurs siècles, j’ai l’espoir que nos descendants apprennent des erreurs du passé et reconstruisent un monde qui permette à l’humanité et aux autres espèces survivantes de se partager cette planète plus harmonieusement.
On raconte qu’en Chine, lorsque l’on veut souhaiter du malheur à quelqu’un, on lui souhaite de vivre en des temps intéressants. Je crains que les décennies à venir soient très intéressantes.
OK ! Je sais que cette vision apocalyptique n’a rien d’original, que l’histoire et les religions sont pleines de croyances en un avenir proche cauchemardesque suivi d’un renouveau paradisiaque. Il faut donc prendre mes prédictions avec beaucoup de prudence. Si je prétends dans mes romans avoir fait un voyage dans l’avenir, il ne faut pas me croire. C’est du pipeau. Je suis connu pour dire beaucoup de conneries.
J’espère que ma conclusion ne te décourage pas à lutter pour construire ce monde meilleur auquel tu sembles aspirer. Je ne peux que t’encourager à t’engager dans cette voie, et dans l’immédiat te souhaiter un franc succès pour ton projet scolaire.

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