L’hiver, le trappeur et l’Améridien

Récemment, une amie annonçait à qui voulait l’entendre que l’hiver 2016-2017 serait très rigoureux. Si on lui demandait d’où elle tenait cette information, elle répondait, très sure d’elle, qu’elle l’avait lu sur Internet, que c’était donc très sérieux.
Personnellement, je ne me prononcerai sur la qualité de ses prédictions qu’une fois le printemps revenu. Mais cela m’a fait penser à une blague qui circule depuis de très nombreuses années.

L’histoire se passe dans l’ouest de l’Amérique du Nord, plus précisément dans les contreforts des Montagnes Rocheuses, bien avant Internet, à une époque toutefois pas si lointaine où les envahisseurs européens étendaient lentement leur emprise sur ce continent. Comme l’hirondelle qui annonce le printemps, le front de l’invasion était alors précédé par quelques individus aventureux, trappeurs, coureurs des bois, etc..
L’un d’eux avait quitté une ville de la côte est, un peu par gout de l’aventure et un peu pour échapper à la misère. C’était aussi un peu pour mettre quelque distance avec une maréchaussée qui commençait à s’intéresser d’un peu trop près à certaines de ses activités. Cela faisait maintenant plusieurs mois qu’il vadrouillait au sein de forêts encore inexplorées, vivotant tant bien que mal de ce qu’il parvenait à chasser, à pêcher et quelquefois à troquer avec les autochtones des environs.
Lorsque les premières feuilles se mirent à jaunir, il réalisa qu’il serait temps de se préparer à passer un hiver dans des conditions qui pourraient s’avérer plutôt rudes. Il entreprit alors de construire une petite cabane de rondins aux abords d’un lac d’aspect paisible.
C’était également le lieu qu’un vieil amérindien solitaire avait choisi pour y dresser son tipi. La proximité poussa les deux hommes à faire connaissance et à communiquer tant bien que mal, chacun apprenant à l’autre quelques bribes de son propre language.
Le trappeur avait beaucoup de respect pour celui qui lui donnait de judicieux conseils sur la vie dans ces contrées sauvages. Un jour qu’il réfléchissait à la quantité de bois qu’il devrait débiter pour chauffer son logis durant l’hiver, il décida d’aller consulter à ce sujet son nouvel ami.
– Dis-moi, penses-tu que j’ai bien fait de m’installer près de ce lac pour passer l’hiver ?
Le vieil homme le regarda longuement, puis répondit d’un air solennel:
– Quand grand oiseau blanc se poser sur lac, c’est un signe.
Le trappeur en conclut que la réponse était affirmative. Il continua à interroger l’indien.
– Et l’hiver, est-ce qu’il sera rigoureux ?
L’autre prit une profonde inspiration, observa attentivement les alentours, concentra son regard un instant sur un couple de canards qui s’envolait vers des latitudes plus clémentes, puis répondit:
– Hiver sera ce que hiver sera. Rigoureux peut-être.
Satisfait de la réponse, le coureur des bois retourna vers sa cabane et entreprit de fendre des buches pour pouvoir affronter les rigueurs de la saison froide.
Le lendemain, perclus de courbattures dans les bras et les épaules, il se demanda toutefois s’il avait déjà coupé suffisamment de bois pour l’hiver. Il retourna alors vers l’ermite et lui reposa la même question:
– L’hiver sera-t-il vraiment rigoureux ?
Celui-ci le regarda un instant avant de répondre:
– Hiver sera probablement rigoureux.
Peu rassuré, le colon retourna immédiatement fendre de nouvelles buches. Chaque jour, il alla questionner le sage amérindien pour l’interroger sur la rigueur de l’hiver à venir.
– Hiver plutôt rigoureux sera !
– Hiver rigoureux sera !
– Hiver assez rigoureux sera !
– Hiver très rigoureux sera !
– Hiver plus rigoureux que jamais sera !
Et chaque jour, notre pionnier retournait vers sa cabane et se mettait à couper plus de bois, de plus en plus frénétiquement. Puis finalement, au bord de l’épuisement, il retourna une fois encore voir l’indien.
– Je te remercie de me donner tous ces conseils qui me permettront de passer l’hiver sans craindre le froid. Mais dis-moi, quels sont les indices qui te permettent de savoir que l’hiver sera aussi rigoureux que cela?
Solennellement, l’autre lui répondit:
– Si homme blanc couper bois, hiver rigoureux sera !

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