L’autre jour, j’écoutais le podcast de l’émission scientifique CQFD de la Radio Romande. J’ai été intrigué par un sujet qui mentionnait une expérience en vue de démontrer la possibilité ou l’impossibilité de voyager dans le temps. L’expérience devait se terminer le 12.12.12 (12 décembre 2012, juste 9 jours avant la fin du monde) par l’arrivée (ou non) d’un voyageur temporel depuis un futur où le voyage temporel serait devenu une réalité.
Je résume le principe de l’expérience en quelques phrases, de plus amples explications se trouvent sur le site de l’association qui a lancé cette expérience (en anglais et en allemand):
Une certaine somme d’argent, environ 60 000 € est réunie par des « temponautes » et investie en vue de favoriser la recherche sur le voyage temporel. En plusieurs siècles, cette somme devrait avoir, grâce à la magie des intérêts composés plusieurs milliards d’euros, ce qui devrait être suffisant pour acheter une machine temporelle une fois cette technologie disponible. Des directives sont passées de génération en génération par les temponautes concernant le protocole de cette expérience. Ces directives impliquent qu’un habitant du futur doive utiliser la machine temporelle pour se rendre le 12.12.12 quelque part en Australie pour ramener des valeurs équivalentes à 90 000 €, soit deux tiers pour compenser la somme initialement investie et un tiers en rétribution pour la première génération de temponautes.
Le 12.12.12 est arrivé, nous a fait signe de la main et s’en est allé, sans qu’aucun voyageur temporel ne se soit présenté au lieu spécifié. Sur le site de l’association, les initiateurs ont reconnu l’échec de l’expérience, dont je reproduis un extrait :
Result of the 12 hours activation of a „time travel window“ on the 12th December 2012 –with powerful support of 101 exclusively briefed Temponauts- – leads to the conclusion that there will not exist any time travel procedure in future. At least no one which enables real physical time travel into the past. Otherwise -at a high degree of probability- there would have happened a physical manifestation on 12th December 2012 from future.
Time travel procedures into the future and/or virtual travels in both directions cannot be excluded -even after this experiment- as now as before.
En deux mots, leur conclusion est que vu que personne ne s’est présenté pour rembourser leur investissement initial, il est définitivement démontré qu’il est impossible pour un voyageur temporel de se rendre physiquement dans le passé (ceux qui lisent avidement mes aventures dans le futur savent que c’est une mauvaise nouvelle pour moi). En revanche, ils n’excluent pas totalement la possibilité d’un voyage vers le futur, voire vers le passé, mais alors seulement de manière virtuelle.
Sans me prononcer sur la possibilité ou non du voyage temporel (je voudrais bien que ce soit possible, mais là n’est pas la question), je trouve leur conclusion en faveur de l’impossibilité comme tout à fait prématurée et pas du tout scientifique. La seule conclusion que l’on peut tirer de cette expérience est qu’elle a échoué, que la boucle temporelle qu’ils voulaient créer ne s’est pas produite. Une conclusion ne peut être tirée avec une seule expérience. Si les physiciens du CERN avaient décidé de l’existence ou non du boson de Higgs après une seule collision de protons, ils auraient également conclu à sa non-existence.
Il y a tant de causes possibles pour expliquer l’échec de cette expérience de voyage temporel, sans que le principe même d’un tel voyage soit remis en cause, que je m’étonne que les initiateurs de l’expérience en tirent immédiatement de telles conclusions.
Pour un auteur de science-fiction de mon genre, dont le coeur même de l’oeuvre repose sur le voyage temporel, il est extrêmement stimulant d’imaginer des scénarios qui auraient pu causer l’échec de l’expérience, tout en émettant l’hypothèse que de tels voyages soient possibles. Je ne suis d’ailleurs de loin pas le premier auteur à se lancer dans cet exercice. Des variantes de ce scénario ont été explorées en long et en large par des générations d’auteurs.
Voici quelques-unes des idées qui me sont passées par la tête:
Premièrement, vu que, par la faute des Mayas, la fin du monde aura lieu le 21 décembre 2012, il reste vraiment peu de temps pour inventer le voyage temporel. Il n’est donc pas étonnant que personne ne se soit présenté au rendez-vous.
Il n’est garanti d’aucune manière qu’une somme d’argent investie dans la finance rapporte gros. Statistiquement, cela se produit parfois, mais c’est de loin pas toujours le cas, même en l’absence de crises. En fait, il est extrêmement improbable qu’une somme modeste puisse croitre continuellement sur plusieurs siècles pour atteindre les montants prédits par la théorie. J’attends toujours qu’on me présente un seul cas couvrant ne serait-ce qu’une période de cent ans.
Il est envisageable que des bouleversements sociaux et économiques se produisent qui réduisent à néant les perspectives de croissance de ce capital, voire même rendent l’idée même de capital obsolète.
Imaginons que je décide moi-même de lancer une expérience tout à fait similaire, mais en donnant instruction à mes temponautes de détruire toutes les directives de la première expérience et de les remplacer par les miennes et également de fixer le rendez-vous le 22.2.2022 devant ma maison. Cela expliquerait l’échec de l’expérience initiale et je garderais tout le pognon pour moi. Ha! Ha! Ha!
Et puis, envisageons le cas où l’investissement initial réussirait miraculeusement à prospérer de telle sorte qu’il conduise effectivement à permettre le développement d’une machine temporelle, mais que cette machine soit fabriquée sur une lointaine planète dans un lointain futur et que l’on ait perdu la connaissance exacte de la position de la terre dans l’espace.
Et si la machine temporelle avait été inventée indépendamment de l’expérience du 12.12.12, pourquoi se préoccuperait-on de venir dire coucou avec un paquet de pognon, vu que l’établissement de la boucle temporelle n’est plus requis?
Il se peut également que l’expérience ait parfaitement réussi, mais que la boucle temporelle qui s’est établie soit paradoxale. C’est-à-dire que l’arrivée du voyageur temporel entraine une situation qui empêche sa réalisation. Il en résulterait une sorte de superposition quantique entre deux états contraires, soit la réalisation du voyage et sa non-réalisation. On aborde là le monde étrange des univers parallèles. Il y a donc une probabilité non nulle que nous nous trouvions dans un univers pour lequel la décohérence de cette superposition quantique résulte dans l’état de non-réalisation, alors que dans d’autres univers, la réalisation est effective, conduisant à la fermeture de la boucle temporelle.
Je vois bien une série télé où chaque épisode relate une tentative de remplir le contrat transmis de génération en génération par les temponautes. La créativité sans limites des scénaristes pour imaginer pourquoi le voyageur temporel n’a pas pu se rendre au rendez-vous devrait permettre à la série de durer plus longtemps que Dallas et Dynasty réunies, voire même plus que les Simpson qui ont récemment franchi la barre des 500 épisodes et remportent toujours autant de succès.
Bref, je pense que le malheureux échec de cette expérience ne devrait pas faire renoncer à la recherche de solutions au voyage temporel. Pour ma part, pourquoi ne mentionnerais-je pas cette histoire dans un de mes prochains romans? Pourquoi pas?