Bien que le sujet d’une limitation de la population soit encore largement tabou dans la société, le résultat de la votation du 9 février 2014 montre bien qu’il y a une forme de ras-le-bol dans la population quant aux conséquences de l’augmentation continue du nombre d’habitants en Suisse. Ce résultat ne signifie pas qu’il y ait un réel rejet de la population étrangère, mais c’était la seule solution proposée en dehors du statuquo.
Pour des motivations différentes, tant l’initiative de l’UDC que celle d’Ecopop ont le fâcheux défaut de vouloir agir sur la population étrangère pour limiter la surpopulation. Or, cette approche conduit inévitablement à des difficultés dans les relations tant économiques que politiques avec les pays voisins.
Quelles sont les raisons du ras-le-bol mentionné plus haut ? Principalement, une augmentation annuelle d’environ 1 % de la population en Suisse, qui conduit entre autres à une pénurie de logements, à des infrastructures de transport qui n’arrivent pas à suivre et à une pression croissante sur l’environnement.
Les statistiques de l’emploi en Suisse pour le mois de mai 2014 indiquent une augmentation d’environ 48300 personnes actives occupées, dont 53300 étrangers et -4000 de nationalité suisse par rapport à mai 2013. Dans le même temps, le taux de chômage, selon les critères du BIT est passé de 4.6% à 4.8%, soit 11000 personnes de plus que l’an passé sont à la recherche d’un emploi. Les comités d’initiative de l’UDC et d’Ecopop se sont bien évidemment basés sur des statistiques plus anciennes, mais elles sont arrivées aux mêmes conclusions, soit que l’augmentation du nombre d’emplois en Suisse ne permet pas de réduire le chômage, car tous ces nouveaux emplois sont occupés par de nouveaux immigrants. Ils en ont déduit que la faute reposait entièrement sur ces immigrants et qu’il fallait en définitive limiter directement leur entrée en Suisse, donc prendre des mesures allant à l’encontre des accords de libre circulation des personnes conclus avec l’Union Européenne.
Mais est-ce vraiment le principe de libre circulation qui est à l’origine du problème ? Non, car contrairement à la croyance populaire, cette liberté des personnes à s’établir à leur guise dans n’importe quel pays ayant adhéré à ces accords est limitée par la condition de trouver un emploi dans le pays de destination (ou d’être assez riche pour n’avoir pas besoin de travailler, mais ça, c’est une autre question). Ce que l’on a tendance à oublier, c’est que si environ 80 000 ( > 100 000 en 2013) personnes viennent s’établir en Suisse chaque année, c’est qu’un nombre presque équivalent d’emplois y sont créés. Si ces emplois n’étaient pas créés, il n’y aurait pratiquement pas d’immigration en Suisse.
Le problème est donc tout autre : la Suisse souffre d’une surproduction d’emplois ! Voilà un concept intéressant dans un contexte européen ou l’on se plaint plutôt d’une pénurie d’emplois. Il est à remarquer que malgré cette situation paradoxale, on se plaint du même mal en Suisse également et qu’on l’utilise pour justifier les politiques d’encouragement à l’installation d’entreprises étrangères.
Je ne vais pas disserter dans cet article du bienfondé de la croissance économique. Je me contenterai d’appuyer sur le fait que c’est cette croissance économique qui est à l’origine du sentiment de ras-le-bol exprimé par les citoyens helvétiques!
Il est intéressant de noter ce fait assez paradoxal: dans certaines régions, on crée de nombreux emplois qui seront occupés par des personnes venues d’autres régions, sans que le taux de chômage local soit significativement impacté. Pourquoi ne créerait-on pas ces emplois dans les régions d’origine de ces travailleurs? Essentiellement pour des raisons d’optimisation fiscale, mais ça aussi, c’est une autre question.
Vu ce qui a été exposé ci-devant, pourrait-on envisager une modification de la Constitution helvétique qui permette de maitriser l’évolution démographique de la Suisse sans remettre en cause les accords de libre circulation des personnes ? Je prétends que oui et la suite de cet article liste quelques pistes pour y parvenir.
Tout d’abord, il convient d’affirmer la volonté de stabiliser la population à un niveau à définir. Ce niveau peut être plus élevé que la population actuelle, mais il pourrait également être inférieur. Ce nombre d’habitants « optimal » est à définir par la loi. La Constitution ne doit que définir l’existence d’une telle limite.
Le choix de la limite ne peut être défini de manière « scientifique », il y a une importante part de subjectivité politique dont il faut tenir compte. Cette limite ne peut également être gravée dans le marbre, il convient de pouvoir la redéfinir périodiquement. Idéalement, il faudrait qu’un scrutin soit organisé au moins une fois par génération pour que les citoyens puissent choisir un nouvel objectif à atteindre.
Bien entendu, fixer un objectif ne suffit pas. Il faut se doter d’outils adéquats pour y parvenir. Ceux-ci dépendront évidemment de l’augmentation ou de la réduction du nombre d’habitants nécessaire pour atteindre l’objectif visé.
À l’échelle d’un pays ou d’un continent, il y a deux moyens d’agir sur le niveau de population, soit le taux de natalité et le solde migratoire. À l’échelle de la planète, il n’est possible d’agir que sur le seul taux de natalité, étant donné que l’émigration hors de la planète n’est, du moins pour l’instant, pas envisageable. Le déplacement de populations des régions surpeuplées vers celles qui le sont moins ne résoudraient pas le problème, mais ne feraient qu’en accentuer d’autres.
Il n’est pas souhaitable de faire appel à des méthodes coercitives pour atteindre ces objectifs. Je ne préconise que des méthodes incitatives, même si ces incitations pourraient être assez fortes.
Pour agir sur le taux de natalité, les états ont mis en place de nombreuses mesures plus ou moins efficaces, principalement dans le but de relancer la natalité. Ces mesures peuvent être modulées dans un sens ou dans l’autre en fonction de l’objectif à atteindre. D’autres mesures, plus innovantes, peuvent être envisagées, sans en arriver à imposer un nombre minimum ou maximum d’enfants par familles comme cela est ou était pratiqué dans certains pays. J’ai moi-même décrit deux approches possibles dans les articles suivants : « Bosser ou procréer, il faut choisir » et « Revenu de Base Inconditionnel, quid des enfants ».
Pour agir sur le solde migratoire, sans enfreindre au principe de la libre circulation des personnes, je propose d’agir sur le taux de créations d’emplois. Si le but à atteindre est une augmentation de la population, incitons les entreprises existantes à se développer et à de nouvelles entreprises à s’installer en Suisse. Si le but est une diminution de la population, il faut réduire voire supprimer les avantages concédés aux entreprises, une augmentation de la fiscalité n’étant pas à négliger.
Ébauche de texte constitutionnel :
— Le nombre de personnes habitant en Suisse doit être stabilisé. L’objectif de population à atteindre est redéfini au moins une fois par génération (entre 10 et 20 ans) au moyen d’une votation populaire. Le citoyen devra exprimer sa préférence entre cinq options, soit le maintien de l’objectif en vigueur, soit un nouvel objectif fixé à 10 % ou 20 % au-dessus ou au-dessous de l’objectif en vigueur. Le nouvel objectif sera fixé à la valeur définie par la médiane des choix exprimés (50% des choix exprimés sont au-dessous de cette valeur et 50% au-dessus).
— L’assemblée fédérale décide des mesures incitatives à mettre en œuvre pour stabiliser la population selon l’objectif choisi. Le conseil fédéral veille à l’application concrète de ces mesures.
Dispositions transitoires :
— En cas d’acceptation, le premier objectif de stabilisation de la population helvétique est fixé à la population résidente le jour de la votation, sur la base d’une estimation de l’office fédéral des statistiques. Une première consultation populaire sur l’objectif de stabilisation de la population doit être organisée au plus tard 18 mois après la votation.
Éléments pouvant faire partie de la législation d’application de l’article constitutionnel:
Actions sur la natalité :
— L’objectif de stabilisation de la population ne peut conduire à l’interdiction ou à l’obligation de mettre au monde des enfants. Seules des mesures incitatives peuvent être introduites à cet effet.
— Si l’objectif en vigueur implique une augmentation de la population, les mesures suivantes (non exhaustives) sont envisageables :
— Hausse des allocations familiales.
— Dans le cas où un revenu de base serait introduit, hausse du taux octroyé à la naissance.
— Création de nouvelles crèches.
— Si l’objectif en vigueur implique une réduction de la population, les mesures citées ci-dessus seraient appliquées en sens inverse.
Actions sur le flux migratoire :
— Les accords de libre circulation des personnes conclus avec d’autres pays ne doivent pas être compromis. Il n’est donc pas question d’imposer des quotas d’immigration.
— Si l’objectif en vigueur implique une augmentation de la population, les mesures suivantes (non exhaustives) sont envisageables :
— Création de nouveaux emplois par des programmes de promotion économique.
— Facilitation du regroupement familial.
— Assouplissement des conditions d’octroi du droit d’asile.
— Si l’objectif en vigueur implique une réduction de la population, les mesures citées ci-dessus seraient appliquées en sens inverse.
Ces mesures sont ajustées annuellement, dans un sens ou dans l’autre, afin de converger efficacement vers l’objectif, tout en évitant le « surpilotage ».