Mauvaise question! La bonne question est: qui n’aurait PAS droit au Revenu de base?
En effet, toute société humaine, quelle que soit sa complexité, comporte toujours un mécanisme de redistribution des richesses produites à l’ensemble de ses membres. Cette redistribution peut être égalitaire si tout le monde se voit attribuer une part égale des biens produits, ou inégalitaire si certains individus se voient attribuer (ou s’attribuent eux-mêmes) la majorité de ces biens.
Rares sont les sociétés qui sont parvenues à instaurer une redistribution à peu près égalitaire. Il s’agit essentiellement de sociétés dites «primitives». Est-ce une fatalité que les sociétés plus «évoluées» soient bloquées dans une redistribution inégalitaire? Voilà une bonne question, mais je ne tenterai pas d’y répondre ici.
Au cours de l’histoire, les luttes sociales ont toujours visé à rendre plus «juste» cette redistribution. Dans les régions où ce processus a produit les meilleurs résultats, sont apparus des systèmes de protection sociale généralement très complexes, mais ceux-ci n’ont jamais réussi à éliminer totalement la pauvreté. Une caractéristique commune à l’ensemble des systèmes de protection sociale est que l’aide apporté est soumise à toute une série de conditions dont les bénéficiaires potentiels devront démontrer qu’ils les remplissent. Je n’entrerai pas dans les détails, vous trouverez suffisamment d’exemples dans vos médias préférés ou simplement en regardant autour de vous.
La proposition de l’introduction d’un Revenu de Base Inconditionnel (RBI) vise justement à supprimer la conditionnalité de l’aide sociale. Elle part d’une idée extrêmement simple qui consiste à attribuer à l’ensemble de la population résidente d’un territoire une part de la richesse produite sur ce territoire, une part suffisante pour assurer à chacun une existence frugale, mais digne.
Cette idée n’est-elle pas trop simple pour être réaliste? À quoi bon donner un revenu de base à des gens qui ont déjà un revenu très largement supérieur à leurs besoins? Pourquoi ne pas le réserver à ceux qui en auraient vraiment besoin, c’est-à-dire une relativement faible partie de la population?
Parce que ça ne marche pas! Les systèmes de protection sociale actuels, qui sont sensés aider les plus démunis, échouent à cette tâche justement par cette exigence de ne cibler que la partie de la population qui en a vraiment besoin. Non seulement ils échouent à aider l’ensemble des personnes qui devraient en bénéficier, mais ils les accablent de tracasseries en les forçant à devoir justifier en permanence de leur droit à être aidés, sans compter les effets de seuil pervers qui dissuadent les personnes ayant obtenu de l’aide à améliorer un tant soit peu leur situation sous peine de perdre l’aide en question.
L’inconditionnalité du revenu de base est ce qui fait qu’il permettrait aux systèmes de protection sociale d’être enfin pleinement efficaces. Non seulement cette inconditionnalité permet à toutes les personnes n’ayant aucun autre revenu de jouir d’une existence digne, mais elle donne à l’immense majorité de la population l’assurance qu’en cas de coup dur, elle ne se retrouve pas, d’un jour à l’autre, réduite à la misère. Le RBI est utile pour toute la population. Même les hyper riches y trouveraient leur compte. Il réduirait fortement le risque d’un soulèvement populaire qui mettrait en danger, non seulement leur fortune, mais surtout leur vie. Les têtes embrochées sur des pieux sont très à la mode en périodes insurrectionnelles.
Le 5 juin 2016, la population suisse devra se prononcer sur le principe de l’introduction d’un revenu de base inconditionnel. Avant de déposer votre bulletin dans l’urne, comprenez que la question posée n’est pas tant de décider si l’on doit accorder à toute la population résidente une part de la redistribution des richesses produites, mais de décider s’il est légitime que certaines personnes en soient exclues et, dans ce cas, quelles seraient les catégories de la population résidente qui pourraient légitimement être exclues de cette redistribution.