Cet article fait partie d’une série d’analyses de modèles de financement du Revenu de Base Inconditionnel (RBI) applicables pour la Suisse. Les modèles analysés ici ont tous pour caractéristique principale de viser le financement global du RBI à l’aide de mécanismes simples, mais politiquement innovants.
D’autres modèles existent qui cherchent à construire des financements du RBI qui seraient certes plus complexes, mais qui seraient aussi plus facilement réalisables dans le cadre des processus parlementaires actuels. Ces modèles de financement ne sont pas analysés dans cette série d’articles, sans préjuger de leurs qualités intrinsèques.
Des modèles de RBI ont été élaborés sur la base d’une réforme des mécanismes de création de la monnaie. Ces modèles ne sont pas non plus analysés dans cette série d’articles, également sans préjuger de leurs qualités intrinsèques.
Pour simplifier la compréhension de ce modèle, la notion de «Valeur Ajoutée Nette» des entreprises utilisée ici est une version simplifiée de celle utilisée communément. Elle se définit par la somme de «l’excédent net d’exploitation» (c’est à dire les bénéfices de l’entreprise) et de la «rémunération des salariés» (salaires nets et cotisations sociales totales, aussi bien à la charge des employeurs que de celle des employés). En termes plus simples encore, c’est la somme de la rémunération des actionnaires et de la rémunération des salariés. Dans le cas particulier des indépendants, ces deux rémunérations sont confondues en une seule.
L’idée du modèle de financement par la VAN est de ne pas faire reposer la totalité du financement du RBI uniquement sur les revenus des salariés, mais également sur ceux des actionnaires en introduisant une troisième part dans la répartition de la VAN qui serait consacrée au financement du RBI. En supposant (hypothèse de travail) que cette part représenterait un tiers de la VAN, il faudrait prendre un tiers de la rémunération des actionnaires et un tiers de la rémunération des salariés pour constituer cette troisième part.
En 2014, en Suisse, la rémunération totale des salariés s’est élevée à environ 380 milliards CHF et l’excédent net d’exploitation total des entreprises s’est élevé à environ 110 milliards CHF. La VAN totale des entreprises s’élevait donc à environ 490 milliards CHF.
En se basant sur ces chiffres, pour réunir les 200 milliards CHF du RBI, il faudrait donc attribuer au RBI 200 / 490 = 0.408 (40 %) de la VAN totale des entreprises, donc 40 % de la rétribution des actionnaires et 40 % de la rétribution des salariés. Ce qui correspond à 44 milliards CHF à prélever sur la rémunération des actionnaires et 152 milliards CHF sur la rémunération des salariés.
En appliquant cette valeur sur le graphique que nous connaissons bien maintenant, on peut en évaluer l’impact sur les salaires:
On peut constater que le point d’inflexion est situé aux environs de 6900 CHF, bien au-dessus de la médiane des salaires.
Si l’on compare ce résultat avec ceux du modèle de financement par la transformation de l’AVS en RBI, on s’aperçoit que les deux modèles sont très similaires. Ils ne diffèrent que par le calcul de la part «patronale» des cotisations. Dans le cas de l’AVS, la part de cotisation à la charge des entreprises est proportionnelle à la rémunération du salarié, alors que dans le cas de la VAN, cette part est proportionnelle à la rémunération des actionnaires. L’administration du RBI basé sur la VAN pourrait être confiée aux caisses AVS sans qu’il y ait de modifications sensibles dans la nature de leur activité ou de leur charge de travail.
Cette différence de calcul peut paraitre minime, mais elle conduit à d’importantes modifications dans la dynamique du système économique. Rappelons que l’objectif premier d’une bonne gestion d’entreprise est de maximiser les marges et les bénéfices. Si l’introduction du RBI augmente les couts d’une entreprise, celle-ci va chercher à les compenser d’une manière ou d’une autre.
Dans le cas du modèle basé sur l’AVS, elle peut soit augmenter ses prix pour augmenter sa marge ou baisser le salaire de ses employés. Une solution plus radicale est de délocaliser la production.
Dans le cas du modèle basé sur la VAN, augmenter les prix pour augmenter la marge de l’entreprise afin de maintenir la rémunération des actionnaires implique d’augmenter la VAN, ce qui aurait pour effet immédiat non seulement d’augmenter les montants attribués au RBI, mais également d’augmenter la rémunération des salariés. Globalement, cette inflation induite annulerait les gains réels de pouvoir d’achat tant pour les salariés que pour les actionnaires. Mais comme une augmentation des prix entrainerait une diminution de la compétitivité de l’entreprise, cette dernière n’aurait aucun intérêt à y recourir.
Toujours dans le modèle de la VAN, réduire la rémunération des salariés pour augmenter «l’excédent net d’exploitation», n’aurait aucun effet sur la rémunération des actionnaires. En effet, il n’y aurait aucune modification de la VAN de l’entreprise, ce qui impliquerait simplement un prélèvement supérieur sur la rémunération des actionnaires. Match nul!
Il resterait alors à l’entreprise la possibilité de délocaliser sa production. Cette délocalisation ne pourrait se limiter à la production, car si les bénéfices supérieurs étaient réimportés, ils seraient immédiatement ponctionnés par le RBI, annulant tout bénéfice provenant de cette délocalisation. La délocalisation de toute l’entreprise est envisageable, mais dans les faits, cette menace est à relativiser pour la simple raison que la présence de très nombreuses entreprises en Suisse est due tant au savoir-faire important des employés qu’aux avantages fiscaux dont bénéficient ces entreprises.
L’intérêt principal de cette méthode de financement est qu’elle est basée sur les bénéfices des entreprises et non seulement sur la rémunération de leurs salariés. Ainsi, pour une VAN constante, le financement du RBI ne va pas varier en fonction du nombre d’employés. Imaginons le cas d’une entreprise de transports par camion: actuellement, pour chaque camion exploité par l’entreprise, elle emploie un ou deux chauffeurs. Avec l’apparition prochaine des véhicules autonomes, ces chauffeurs deviendront inutiles et ils seront licenciés. Une fois l’achat des nouveaux camions amorti, les économies réalisées sur les salaires des chauffeurs devenus inutiles viendront renforcer «l’excédent net d’exploitation» de l’entreprise. Dans un modèle de financement axé uniquement sur la rémunération des salariés, l’entreprise serait moins mise à contribution pour le financement du RBI. Dans le cas de financement par la VAN, il n’y aurait aucun changement sur ce point, car la VAN ne serait pas affectée.
AVANTAGES:
+ Administration du RBI déjà en place, car héritée de l’AVS.
+ En plus des personnes sans revenu, plus de 50 % des personnes exerçant une activité lucrative verraient leur revenu augmenter lors de l’introduction du RBI.
+ Élimination de l’inégalité de traitement entre salariés et indépendants.
+ La rémunération des actionnaires participe aussi à la redistribution des richesses produites.
DÉSAVANTAGES:
– Impact psychologique négatif sur les salariés qui verraient une multiplication par 10 de leurs cotisations AVS.
– Risque faible de délocalisation des entreprises.
– Les revenus qui ne sont pas comptabilisés dans la VAN des entreprises, tels que les revenus en provenance des marchés financiers resteraient exclus du financement du RBI. Réflexion faite, une minorité verrait plutôt cet argument comme un avantage.
On peut en conclure que la méthode de financement du RBI par la VAN est structurellement équivalente à celle par la transformation de l’AVS en RBI, mais bien meilleure dans ses effets, car elle ne souffrirait pas de certains de ses désavantages.
Références:
«PIB: approche des revenus et revenu national brut. L’approche par les revenus», Statistique suisse