Combien coutera le RBI ?

Cet article fait partie d’une série d’analyses de modèles de financement du Revenu de Base Inconditionnel (RBI) applicables pour la Suisse. Les modèles analysés ici ont tous pour caractéristique principale de viser le financement global du RBI à l’aide de mécanismes simples, mais politiquement innovants.
D’autres modèles existent qui cherchent à construire des financements du RBI qui seraient certes plus complexes, mais qui seraient aussi plus facilement réalisables dans le cadre des processus parlementaires actuels. Ces modèles de financement ne sont pas analysés dans cette série d’articles, sans préjuger de leurs qualités intrinsèques.
Des modèles de RBI ont été élaborés sur la base d’une réforme des mécanismes de création de la monnaie. Ces modèles ne sont pas non plus analysés dans cette série d’articles, également sans préjuger de leurs qualités intrinsèques.

Avant d’entrer dans le vif du sujet, il est utile de rappeler la teneur de la modification de la Constitution fédérale sur laquelle le peuple suisse sera appelé à se prononcer le 5 juin 2016:

Art. 110a (nouveau) Revenu de base inconditionnel
1 La Confédération veille à l’instauration d’un revenu de base inconditionnel.
2 Le revenu de base doit permettre à l’ensemble de la population de mener une existence digne et de participer à la vie publique.
3 La loi règle notamment le financement et le montant du revenu de base.

Le vote porte donc seulement sur le principe de l’introduction du RBI en Suisse. En cas d’acceptation de l’initiative par le peuple et par les cantons, ce sera le rôle du parlement d’en définir les modalités, notamment son financement et son montant, dans une loi qui pourra éventuellement être soumise à référendum.

Il peut donc paraitre prématuré de se pencher sur la question du financement du RBI. Effectivement, l’enjeu de la campagne pour cette votation consiste à convaincre une majorité des votants de la justesse du principe de l’introduction d’un revenu de base inconditionnel en Suisse.

Seulement voilà, pour une part non négligeable des personnes ayant déjà exprimé leur scepticisme à l’égard de cette proposition, leur opposition est liée à leur inquiétude concernant la possibilité de financer un tel projet. Ne pas répondre à ces interrogations serait non seulement un très mauvais calcul tactique, mais donnerait également une mauvaise image aux promoteurs de l’initiative, faisant d’eux de doux rêveurs, des utopistes ignorants des réalités du monde.

L’ambition de cette série d’articles est de répondre à cette inquiétude, non seulement en démontrant qu’il est tout à fait possible de financer un RBI, mais aussi que le rôle du parlement ne sera pas de trouver, d’inventer ou d’imaginer un modèle de financement, mais de choisir parmi une liste de modèles possibles, voire de combiner des éléments issus de plusieurs des modèles envisageables. À proprement parler, il ne faudrait pas utiliser le terme de modèle de financement, mais de modèle de redistribution. Toutefois, changer de terminologie à ce stade pourrait entrainer plus de confusion que de clarification.

Avant de définir les divers modèles de financement du Revenu de Base Inconditionnel (RBI), il faut calculer une estimation grossière de son cout. Cette estimation ne peut pas être précise, car le montant exact dépendra de plusieurs paramètres variables en fonction des circonstances économiques et des choix politiques.

En toute première approximation, on peut établir l’équation simplissime suivante: RBItotal = RBI * population
Il est généralement admis que les personnes mineures (<18 ans) se verraient attribuer un montant inférieur à celui d’un adulte. On peut considérer dans cette approximation un montant inférieur de moitié à celui d’un adulte. L’équation devient ainsi: RBItotal = RBI * adultes + RBI/2 * mineurs
Selon la publication «La population de la Suisse 2014» de l’Office fédéral de la statistique (OFS), la population résidente permanente de la Suisse s’élevait à la fin 2014 à environ 8,25 millions de personnes, en croissance de +1,2 % par rapport à 2013. Évidemment, ce chiffre aura varié lorsque la loi sur le RBI entrera en vigueur.
Cette même publication estime le nombre de personnes âgées de moins de 20 ans à 1,66 million. On peut en déduire qu’il y a environ 1,5 million de mineurs résidents permanents en Suisse et 6,75 millions d’adultes.
Le montant que chaque adulte se verrait attribuer au titre du RBI est éminemment politique. Pour être compatible avec le nouvel article constitutionnel, il devrait être suffisamment élevé pour permettre à un individu de mener une existence digne. C’est volontairement très vague afin de permettre l’adaptation de ce montant à l’évolution des conditions économiques sans devoir constamment mettre à jour la constitution.
La légende raconte qu’au départ, les initiants se refusaient à avancer un montant. Pressé par un journaliste de la presse populaire romande, l’un d’eux aurait avancé, un peu à la louche, le montant de 2500 CHF par mois, soit légèrement supérieur au seuil de pauvreté en Suisse (2200 CHF en 2012, selon l’OFS). Ce montant se serait rapidement imposé comme référence par l’ensemble de la presse et aurait finalement été officiellement adopté par les initiants eux-mêmes, toutefois à titre «purement indicatif». À mon avis, il est probable que, lors des travaux parlementaires, le montant sera fixé comme égal à la rente individuelle maximale de l’AVS (2350 CHF) et se verra par la suite indexé au seuil de pauvreté si celui-ci venait à dépasser le RBI. Dans tous mes articles sur le RBI, j’utiliserai donc 2350 CHF comme montant du RBI pour un adulte.

Selon ces chiffres, on peut ainsi calculer un montant total pour le RBI en Suisse de:
RBI Total = 2’350 * 12 * 6’750’000 + 1’175 * 12 * 1’500’000 = 211’500’000’000 CHF
soit environ 200 milliards de CHF.

Quoi? 200 MILLIARDS? (Là, il faut vous imaginer la tête du jeune Emmet Brown dans «Retour vers le futur» quand il apprend qu’il va devoir générer une puissance de 2,21 GW pour renvoyer Marty dans le futur.)

200 milliards? Alors que le PIB de la Suisse est d’environ 650 milliards? Ça représente presque le tiers du PIB. Mais c’est de la folie furieuse!

On se calme! Il ne s’agit pas de trouver 200 milliards supplémentaires, mais bien de réformer la clé de répartition de ce PIB. Pour faire simple, il s’agit d’appliquer le principe dit de «Robin Hood»: prendre aux riches pour donner aux pauvres. Et encore, selon certains modèles de financement, il ne faudrait appliquer ce principe que pour une petite part du montant global.

Pour bien comprendre la suite, il faut faire appel à quelques graphiques:

Note: Pour des raisons de simplicité, les surfaces sur ces graphiques ne font que symboliser les masses salariales, mais ne les représentent pas réellement. Pour cela, il aurait fallu pondérer les revenus en fonction du nombre de personnes qui les perçoivent.
Revenu-de-base-1-a
Ce graphique représente le revenu total d’une personne en fonction de son revenu classique provenant d’une activité lucrative ou du rendement d’une fortune, etc. La droite bleue oblique représente le revenu total sans le RBI. Il est évidemment égal au revenu classique. La droite verte horizontale représente le RBI. La droite rouge représente le revenu total, soit la somme du revenu classique ajouté au RBI. La surface bleue symbolise le total des revenus classiques (environ 380 milliards en 2014).
Revenu-de-base-1-c
La surface rouge entre les deux lignes obliques symbolise les 200 milliards du RBI si celui-ci était simplement rajouté aux revenus existants. Le montant total des revenus serait alors d’environ 580 milliards CHF.

Revenu-de-base-1-d
En pratique, puisque l’idée du RBI consiste en une réforme le la redistribution des revenus, il faut en réalité considérer la surface verte sous la ligne horizontale. On s’aperçoit ainsi que seule la partie contenue dans le petit triangle sur la gauche du graphique doit faire partie d’un financement supplémentaire. Les estimations varient entre 18 et 25 milliards, soit seulement environ 10 % des 200 milliards. Le reste proviendra effectivement du mécanisme de redistribution mis en place selon la méthode de financement choisie. Quelle que soit la méthode retenue, il y aura forcément une partie de la population qui va bénéficier de la redistribution et une autre qui va y perdre. Cela est inhérent au principe même de la redistribution. Par contre, le choix de la méthode ne sera pas neutre sur le ressenti face à l’impact sur le revenu total, comme on le verra dans les articles suivants.

Références:
les chiffres évoqués dans cet article sont extraits des documents suivants:
– «La population de la Suisse 2014», Office fédéral de la statistique (OFS)
– «Statistique des assurances sociales suisses (SAS)», Office fédéral de la statistique (OFS)
– «Tableau récapitulatif des montants dès le 1er janvier 2015», Office fédéral des assurances sociales (OFAS)
– «PIB: approche des revenus et revenu national brut», Statistique suisse
– «Financement du Revenu de Base Inconditionnel: un gros malentendu !», RBI-OUI.ch
– «Message concernant l’initiative populaire « Pour un revenu de base inconditionnel» », Chancellerie fédérale

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